Après la projection de Racines du brouillard, l'émotion reste encore vivace. Assurément, c'est un film qui marque ! Juste avant la projection, Habiba Djahnine présente les organisateurs, la famille d'Ali Zamoum, la réalisatrice et l'incontournable Boudjemaâ Karèche. La larme à l'œil, il enlève son béret à la mémoire d'Ali Zamoum. La larme vite séchée, il raconte quelques anecdotes drôles : c'est exactement le ton du film de Dounia Bovet-Wolteche. Pas de douleur affichée mais certaine vivacité diluée dans des plans de coupe longs, souvent silencieux qui, loin d'agacer, nous permettant une petite pause dans l'émotion ; un instant de réflexion et ça repart. Dans son lit de mort, Ali Zamoum, même affaibli, est serein, il sourit même. Rien d'étonnant, il a dit – c'est cité dans le film : “La mort n'existe pas”, précisant a peu près ceci : “Il n'y a que celle des autres qui nous atteint !” Il répond calmement, d'une voix un peu enrouée et altérée par la maladie, cherchant ses mots, le mot juste et simple. La réalisatrice n'hésite pas à garder les réponses désopilantes des enfants à qui on fait lire Tamurt imazighen, le livre majestueux qu'a écrit Ali Zamoum. Des touches d'humour qui détendent l'atmosphère poignante du film. Même la qualité d'image insuffisante, puisque le film est tourné en super 8, participe à l'instauration de l'atmosphère du film ; on aurait dit un fait volontaire, un choix pour un flou artistique qui donne à l'œuvre un cachet particulier. Toile de fond, le 1er Novembre 1954. L'emblème national est omniprésent dans le film. Faut-il rappeler que la proclamation de la guerre de Libération a été tapée et tirée chez Zamoum, à Ighil Imoula. Selon Karèche, Zamoum ne voulait absolument pas qu'on touche au 1er Novembre. “Quand il vient chez moi, à l'occasion de cette date historique, il me demandait toujours de mettre un drapeau, j'en mettais deux, un de chaque côté. Nous relatons par bribes car il y a tant à dire sur ce film, par bribes comme Dounia avait conçu son documentaire”, des bribes d'histoires (d'histoire). “Elle, Axelle” est le leitmotiv du commentaire. Commentaire sobre, qui va à l'essentiel, qui va pourtant jusqu'à l'écran blanc d'avant le générique de fin. Axelle est la mère de Dounia, grande amie d'Ali et de sa femme Nna Ouiza. “Maintenant qu'il est mort, dit Nna Ouiza à Axelle, je ne pourrais vivre sans toi… Tes enfants sont mes enfants…” C'est Axelle qui rapporte ces paroles, Nna Ouiza ne parle pas dans le film. Les séquences où l'on voit les deux femmes, complices, dans des tâches de la vie quotidienne sont des délices qui valent tous les discours sur l'amitié et la fidélité. Axelle, dans son propre rôle est saisissante de vérité et de présence. Aucune actrice professionnelle n'aurait si bien campé le personnage. Les racines du brouillard – quel vrai et joli titre – est une œuvre majeure, venant des entrailles d'une cinéaste dont la sensibilité transparaît à travers le travail. Une véritable artiste qui, nous l'espérons, nous fera le cadeau d'autres œuvres. Ce n'est pas pour rien que ce documentaire a décroché la mention spéciale du jury au FID (Festival international du documentaire) à Marseille.