L'ambassadeur de France ne s'économise pas. Durant deux jours, par une tempête jamais vue dans la région de Marseille, Xavier Driencourt a fait une tournée pour tenter d'expliquer la LFC 2009 qui a sérieusement étranglé Marseille et son port. Imperméable beige, lunettes cerclées et pas de course. Xavier Driencourt, qui a passé ses quinze derniers jours dans les wilayas algériennes à tenter d'expliquer que les entreprises françaises vont davantage s'investir et investir en Algérie, a effectué une tournée tout aussi délicate en France. C'est à Marseille, premier port de France et de Méditerranée de trafic de frets, qu'il a choisi de continuer sa campagne de sensibilisation, cette fois-ci, à l'adresse des élus de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur (Paca) et des élus locaux de Marseille ainsi qu'aux patrons des PME de la région et des opérateurs du port de Marseille. Tous font grise mine. Pas à cause du soleil qui a abandonné la Canebière ce week-end, mais à cause de la loi de finances complémentaire 2009 du gouvernement algérien. Marseille et son port ont pris ces mesures de “plein fouet”, comme le dit l'ambassadeur. La colère gronde contre l'Algérie et Xavier Driencourt est venu pour apaiser les esprits. “Si les élus de Marseille doivent se rendre en Algérie, ce que je souhaite, ce n'est pas pour critiquer ou se plaindre. Il ne faut pas être dans une situation de pleurnichard mais de manifester à l'Algérie l'attachement de Marseille à ses relations et aux intérêts supérieurs avec ce pays”, avertit l'ambassadeur de France dans un point de presse à la Chambre de commerce et d'industrie de Marseille (CCIM). Ne pas céder à la panique Même si les chefs d'entreprise de Marseille ont vu leurs activités pratiquement gelées suite à l'arrêt de l'importation de produits français, l'ambassadeur de France à Alger se veut zen. “Il faut voir le verre à moitié plein” dit-il, se faisant, adroitement l'avocat du gouvernement algérien quand il tente d'expliquer à des interlocuteurs marseillais mécontents et abasourdis par les mesures contenues dans la LFC 2009. “Mon rôle est d'expliquer ces mesures et tenter de dépasser les lectures simplistes de la presse française ou algérienne. Cette loi des finances complémentaire a été prise dans un cadre d'urgence. Face à la dégradation assez nette de ses revenus due à l'effondrement des cours du pétrole, de moins 46% en cinq mois, et une augmentation en parallèle des importations, les risques sur le déficit algérien est important. D'où cet arrêt brutal des importations”, expliquera le diplomate français, dont le discours ressemble étrangement à celui du ministre algérien des Finances, Abdelkrim Djoudi. L'ambassadeur poussera la comparaison jusqu'à indiquer que la France a eu, par le passé, à prendre des mesures tout aussi protectionnistes pour sauvegarder son économie : “Si les Algériens veulent faire dédouaner les voitures à Mostaganem, on a eu à faire la même chose sous le gouvernement Cresson, quand on dédouanait nos magnétoscopes à Poitiers.” C'est avec ces arguments que l'ambassadeur de France à Alger a affronté les élus locaux en leur demandant, d'une certaine manière, d'arrêter de considérer que la LFC 2009 est une loi “anti-entreprises françaises. (…) En aucun cas, cette loi n'est dirigée contre la France. Elle n'est en rien discriminatoire mais dictée par l'urgence”. Un demi-milliard d'euros de transactions Il expliquera aux élus de Marseille qui comptent se rendre en Algérie en novembre, avec à leur tête le président du conseil régional, le socialiste Michel Vauzelle, considéré comme un ami de l'Algérie, et Jean Noël Guerini, président du conseil général, qu'il ne “faut en aucun cas baisser les bras. Il faut s'adapter à ces nouvelles mesures. L'Algérie a entrepris de nettoyer son économie des réseaux informels. Les entreprises saines resteront. Cette loi finira par bénéficier aux vrais exportateurs de France ou de Marseille”. Un discours qui a été tenu face à l'Association des musulmans de Marseille également touchés par ces mesures. Avec un chiffre à l'export de 630 millions d'euros en 2008 pour le port de Marseille, l'enjeu est immense. Délicatement, afin de ne pas heurter des patrons d'entreprise furibards, Xavier Driencourt leur glissera ce conseil : “Il serait très mal venu de s'ériger en donneurs de leçons à l'Algérie. Il ne faut pas appréhender l'économie et le commerce sur ce mode-là avec l'Algérie.” Ce conseil trouve son écho chez le vice-président de la CCIM, Raymond Vidil, dont l'entreprise de transport maritime a également été percutée par la LFC 2009 comme une Maruti par un semi-remorque. “Le port de Marseille a connu une chute très brutale de son trafic en direction de l'Algérie. Sur les conteneurs, c'est presque de l'ordre de 100%. Sur le bassin Est, on a eu une chute de 40%. La chute a été très violente pour les entreprises surtout au mois d'août 2009. On n'avait jamais vu ça auparavant” nous confie-t-il. Selon Hervé Balladur, président de l'Union maritime et fluviale (UMF), qui regroupe les opérateurs privés du port, l'ensemble des transitaires marseillais est affecté : “Le mois d'août a été catastrophique, avec des baisses de transit avec l'Algérie de l'ordre de 55 % pour les marchandises et 70 % pour le matériel roulant.” Déjà des entreprises de Marseille en faillite Les plus pénalisées sont les entreprises d'exportation de matériel de travaux publics d'occasion, qui est une des grandes spécialités de la région de Marseille. Les entreprises spécialisées dans la logistique ont également été secouées au point qu'une dizaine, travaillant exclusivement avec l'Algérie, ont déposé leur bilan comme la société Traco, très connue pour ses liens commerciaux avec Alger. Les autres attendent des miracles de la prochaine visite des élus locaux et de la région de Marseille à Alger pour tenter de désamorcer une crise aiguë des transactions avec l'Algérie. Les entreprises d'exportation frigorifiques, d'agroalimentaire, d'emballage, de chimie et de matières premières industrielles sont au bord de la faillite. Seules surnagent quelques mastodontes comme les laboratoires pharmaceutiques, les groupes automobiles ou des entreprises d'engins de travaux publics comme Lieberg ou Caterpillar qui sont plus habitués à des contextes aussi difficiles. Certains opérateurs économiques de la région nous confieront que les répercussions de la LFC 2009 ne seront visibles sur Marseille, en terme de mise au chômage, qu'au début 2010 et tous, ou presque, maudissent le fameux crédit documentaire Credoc : “Si vous, en Algérie, avez pris ces mesures avec vos raisons qu'on peut comprendre, il n'en reste pas moins que l'instauration du Credoc pénalise d'abord la relation de confiance qui a toujours existé entre les patrons des PME algériennes et marseillaises”. La bourde Noveli Une nervosité qui a atteint le gouvernement français avec l'épisode du secrétaire d'Etat français au Commerce, Hervé Noveli, qui, répondant à une question d'un parlementaire marseillais tout aussi remonté, a rétorqué que les “Algériens font fausse route” après l'adoption de la LFC 2009. Un dérapage qui handicape sérieusement les efforts de l'ambassadeur de France qui prône une attitude plus responsable : “Je ne suis pas au courant, mais je ne l'aurais pas dit comme ça”, a-t-il répondu à Liberté, avant d'ajouter que “c'est ce qu'il ne faut pas faire en donnant des leçons d'économie à l'Algérie comme l'a fait récemment à Alger l'adjoint au secrétaire d'Etat américain au Commerc.” Les Américains apprécieront cette pique provençale. Pour tenter de multiplier les signaux positifs à l'égard des autorités algériennes, l'ambassadeur de France à Alger a travaillé, durant sa mission de “pompier”, avec la mairie de Marseille, de l'inusable Jean-Claude Gaudin qui avait adressé dernièrement une lettre au président Bouteflika l'enjoignant de ne pas asphyxier la région de Marseille. Un projet de Maison Provence-Marseille/Algérie est en cours de préparation et qui consiste à créer une sorte de plateforme de coopération exclusive entre les PME algériennes et marseillaises. Une initiative qui se veut incitatrice à distinguer le rôle des entreprises de la région dans leurs échanges traditionnels avec l'Algérie. C'est cette proposition qui sera soumise au gouvernement algérien dans les prochaines semaines, avec le mince espoir que le président Bouteflika ordonne au gouvernement Ouyahia de trouver des parades pour tenter de“sauver” les relations commerciales avec Marseille où vit une communauté imposante d'Algériens et de Franco-Algériens. “Une révision probablement ? En tous cas pas de dérogations spéciales pour les entreprises françaises sinon c'est Bruxelles qui va nous pénaliser. Vous savez, un opérateur m'a confié qu'en Algérie, il faut être présent aujourd'hui pour être là demain. J'en fais ma devise”, glissera Xavier Driencourt. Le maire de Marseille appelle à un “assouplissement”, tout autant que la secrétaire d'Etat au Commerce extérieur, Anne- Marie Idrac, qui a été dépêchée par Sarkozy pour soutenir les opérateurs marseillais. Cette campagne est suivie à partir d'Alger d'un regard dubitatif. Les efforts d'explication de l'ambassadeur de France, aussi bien en Algérie qu'en France, peuvent-ils faire pencher la balance ? Certains en doutent car la tâche est ardue et ne saurait faire abstraction de la dégradation des relations politiques algéro-françaises symbolisées par une sorte de rupture de dialogue entre les présidents Bouteflika et Sarkozy. Car des deux rives de la Méditerranée, la LFC 2009 apparaît comme une énième pierre dans le jardin encombré des relations entre Paris et Alger. Si Sarkozy veut protéger les investissements français en Algérie ou leurs exportations, il ne pourra pas occulter certains dossiers qui tiennent à cœur au président Bouteflika, liés à la mémoire, à la repentance, aux visas, à Tibhirine ou à l'affaire Hasseni : “Je ne suis qu'un fonctionnaire de l'Etat français. Je ne saurais et ne me permettrais pas de dire aux élus comment agir ou réagir”, a conclu Driencourt, qui s'est proclamé optimiste en faveur des entreprises françaises en quittant la Chambre de commerce sous une pluie battante. Marseille est déjà en état d'alerte…météo.