Pour Abou Mazen, son voyage à Washington est en soi une grande victoire. Lui qui a été tout juste accepté par les siens est dorénavant, aux yeux des américains, un interlocuteur à part entière. Mais, c'est insuffisant, Abou Mazen doit retourner en Palestine non pas avec de vagues promesses, mais avec la certitude que la “feuille de route” devant conduire à la proclamation de l'Etat palestinien en 2005 soit mise en œuvre immédiatement. Le temps pour lui est compté. Les activistes palestiniens (Hamas et les branches extrémistes du Fatah) n'ont accepté de surseoir aux attentats contre Israël que pour six mois : le temps de mettre à l'épreuve l'acception par Sharon du processus de normalisation version Bush. Or, ce dernier n'a pas l'intention de lâcher le morceau. Pour Israël, c'est encore aux palestiniens de faire des concessions. Sharon ne veut consentir ni à la lever du siège de Yasser Arafat ni au retrait de ses forces d'occupation de prisonniers palestiniens. Ce n'est pas nouveau, avec Sharon, toutes les négociations seront des simagrées. Il a accepté la fameuse “feuille de route” sous la pression de Bush, mais non sans l'avoir conditionnée par quatorze réserves qui remettent en cause ses éléments essentiels. Il a procédé à deux ou trois évacuations de colons, mais ce ne sont que des mobiles-homes de fortune, fraîchement installés. Par contre, l'encerclement de localités palestiniennes en Cisjordanie se poursuit activement, préfigurant de ce que sera le futur Etat palestinien : un vrai bantoustan avec son chapelet de poches entrecoupées par des colonies israéliennes reliées par un réseau routier interdit aux palestiniens. Avec la clôture de 350 km, 200 000 palestiniens vont se trouver condamnés à vivre dans une sorte de prison, isolés du reste de la Cisjordanie. Il va sans dire que ces nombreux dominiums israéliens sont établis sur les meilleures terres et dans les lieux où l'eau est disponible. Sharon n'a pas cédé d'un iota même s'il a rencontré à plusieurs reprises le Premier ministre palestinien. Rien n'y fit, pas même les mises en garde des Européens qui, en réalité, ont adopté une attitude attentiste, se contentant de rappeler que la “feuille de route” est un plan de paix international. L'Europe peut exercer des pressions sur Israël qui, lui, est lié par un accord d'association très avantageux, mais elle n'est pas en mesure de contrarier l'Amérique qui s'est décrétée seule juge dans la région. Abou Mazen ne peut compter ni sur les européens ni même sur les arabes qui ont été totalement évincés de la scène internationale, conséquemment aux retombées de l'occupation de l'Irak. L'égypte et la Jordanie ne sont plus que de simples faire-valoir et l'Arabie Saoudite, piégée par son wahhabisme, s'est retrouvée dans la situation de l'arroseur arrosé. Alors que peut bien ramener Abou Mazen de Washington ? Pas grand-chose, sachant que Bush se présente pour un deuxième mandat et qu'il doit tenir compte du puissant lobby juif américain sans qui Sharon ne serait pas ce qu'il est. La campagne électorale américaine commence en septembre. Devant les difficultés rencontrées en Irak, Bush pourrait, tout de même, contraindre Sharon à lâcher un os. Mais, Abu Mazen devra attendre la rencontre Bush-Sharon qui doit avoir lieu trois jours après son entrevue avec le président américain. Le premier ministre palestinien est sur la corde raide, sans parachute. De l'autre côté, les américains savent que si Abou Mazen échoue, c'est la porte ouverte à la troisième Intifadha. Le premier ministre palestinien table sur ce dilemme. D. B.