Même si l'Algérie devance de trois points l'Egypte et qu'elle a gagné plus de matches que son prochain adversaire dans les confrontations précédentes (six contre quatre), notre football est loin de rivaliser, au plan des statistiques, avec l'équipe de Oum Dounia. Une réalité que personne ne peut nier. Il suffit de se pencher sur les “traces” à travers l'histoire pour s'en convaincre. Les Pharaons sont les premiers du continent noir à avoir participé à la Coupe du monde : 1934. C'était la première et l'avant-dernière. Il a fallu attendre 56 ans pour qu'ils redécouvrent l'ambiance du Mondial en participant à la campagne d'Italie en 1990 après avoir éliminé… l'Algérie. À cela, il faut ajouter les six Coupes d'Afrique des nations (1957, 1959, 1986, 1998, 2006 et 2008) remportées. Cependant, beaucoup de questions restent posées sur les raisons de cette suprématie continentale. Comment ne pas être perplexe qu'un pays qui n'a jamais eu de joueurs d'envergure mondiale (même si parmi eux il y a ceux qui le méritaient à l'instar de Mahmoud El-Khatib, ou l'actuel star Aboutrika) puisse détrôner, pas seulement l'Algérie, mais également le Cameroun, le Nigeria ou encore la Côte d'Ivoire. Si dans l'actuel effectif de l'entraîneur Shehata on dénombre quatre joueurs participant à des championnats européens (Zidan en Allemagne, Chawki en Angleterre, Essaka en Turquie et Abderabou aux Emirats arabes unis), dans le passé, leur nombre était quasiment insignifiant. Où se trouvent alors leurs atouts ? Certains réduisent cette domination par le fait que ce pays abrite le siège de la Confédération africaine de football (CAF). Un statut qui aurait permis à l'Egypte de faire main basse sur la balle ronde africaine en s'appropriant les coulisses. La réalité n'est pourtant pas aussi simpliste que cela. Être en Egypte a été une occasion pour constater de plus près cette force qui anime l'équipe des Pharaons. Gagner autant de titres avec des joueurs du cru ne peut dire qu'une seule chose c'est le football “intra-muros”. L'armée et le pétrole comme acteurs Le championnat local renferme 16 clubs, où deux clubs se distinguent du lot de par leur spécificité et leur histoire. Evidemment, il s'agit d'Al-Ahly du Caire, désigné comme le meilleur club africain de tous les temps, et le Zamalek. En Egypte, on affirme que 45% de la population supportent le premier, 30% le second, et les autres clubs se partagent le reste. Les 14 autres clubs, formant le championnat local, sont dans leur majorité, soit des clubs appartenant à des structures “spéciales”. Les sociétés pétrolières (représentées entre autres par Ennpi et Petrojet), l'entreprise de travaux publics bien connue à Alger (ses ouvrages les plus connus sont les structures du ministère des Finances à Ben Aknoun), Arab Contractors et surtout l'armée. Cette dernière est entrée en force ces dernières années dans le football égyptien. Son rôle dans le sport roi a été toujours prépondérant au passé. D'acteur invisible et fort, l'armée est devenue beaucoup plus présente et a fait une entrée fracassante dans l'arène footballistique. Elle est également derrière la construction de plusieurs stades dans plusieurs régions du pays et il faut s'attendre à ce que ses clubs viennent concurrencer les deux ténors suscités. Pour la gestion des clubs, il y a un énorme décalage avec ce qui se fait en Algérie. Si au pays des “Guerriers du désert” on n'entend parler que des pouvoirs immenses des présidents et de leurs incessantes réclamations auprès des pouvoirs publics pour recevoir des subventions, en Egypte les choses sont tout autres. Il y a avant tout dans chaque club un conseil d'administration. C'est lui qui décide de tout avec à la clé la gestion de nombreuses infrastructures sous sa tutelle. Pour les moyens, la quasi-majorité vit grâce à l'argent des sponsors et des droits de retransmission. La prolifération des télévisions privées, ces dernières années, a ramené avec elle une importante manne d'argent dans les caisses des équipes. Le fer de lance du football égyptien Parler de football au pays des Pharaons est impossible sans citer Al-Ahly et le Zamalek. À eux seuls, ils comptabilisent 45 championnats (34 pour le Ahly et 11 pour le Zamalek), et 23 Coupes africaines (14 et 9 respectivement). La rencontre entre ces deux équipes est considérée au pays comme le “classico” suprême et à chaque fois les gradins sont remplis. D'ailleurs, l'ossature de l'équipe nationale a été de tout temps formée des éléments des deux teams. Parmi les 25 que Shehata a convoqués pour le match du 14 novembre, 11 joueurs en sont issus. Cependant, la situation actuelle d'Al-Ahly et du Zamalek est bien différente. Si le premier est le détenteur des cinq derniers titres de champion, le second est englué par une crise profonde qui l'ébranle fortement. À l'arrêt de la compétition (à cause des préparatifs du match du 14 novembre) le Ahly se trouve à la tête du classement (avec 20 point en 8 journées) alors que le Zamalek n'est que 8e à 9 points déjà. À leur tête, il y a deux personnalités connues sur la scène hors football. Le président d'Al-Ahly est Hassan Hamdi. Son autre “chapeau” n'est rien d'autre que celui de président du conseil d'administration d'Al-Ahram, le plus grand quotidien du pays. Son adjoint n'est autre que l'ancienne star des années 1970-80, l'emblématique Mahmoud El-Khatib. Ce duo semble bien réussir dans leur mission malgré de nombreux “couacs”. Le dernier en date est le départ, l'été dernier, de l'entraîneur portugais, José Manuel, artisan des résultats historiques des précédentes années, et du buteur angolais Flavio. Le coach a été remplacé au pied levé par son adjoint, Hossam Badoui. Ce dernier, âgé de 50 ans, est très estimé par les foules ahlaouies, et ses résultats, jusqu'à maintenant, sont venus les conforter. Le départ de l'international angolais a aussi été fructifié puisqu'il a été vendu à un club du Golfe pour 5 millions d'euros. Une excellente affaire étant donné que le joueur n'avait coûté, à son arrivée, que 500 000 euros. Le président du Zamalek, en revanche, est Mamdouh Abbas, un richissime homme d'affaires versé dans le pétrole. Sa gestion du club est très critiquée surtout à cause de l'entraîneur français du club, Henri Michel, qui ne fait plus l'unanimité. Pourtant dans l'effectif, on retrouve les deux superstars internationales, les enfants terribles du football égyptien, Amr Zaki et Midou, mais malgré cela ni les résultats ni la sérénité ne sont au rendez-vous. La baraka d'un duo Les deux porte-bonheur de l'Egypte ce sont eux : Hassan Shehata, 60 ans, et Mohamed Aboutrika, 31 ans. Ils sont considérés comme les principaux artisans de la réussite des années 2000. Le premier a été l'artisan des deux titres de champion d'Afrique récoltés au Caire et au Ghana, en 2006 et 2008. Des résultats venus confirmer sa bonne étoile. Cet ancien buteur international (il a été élu meilleur joueur de la CAN-1974) a depuis sa “mutation” en coach fait, ce que les Egyptiens n'hésitent pas à appeler, “de véritables miracles”. Mustapha, 28 ans, commerçant au quartier cairote de Talâte Harb, est un de ses admirateurs “ce qu'il a fait en 2004 lorsqu'il était entraîneur d'Arab Contrators ne peut être oublié. Avec une équipe qui jouait en division inférieure, il a gagné la coupe en battant le Ahly en finale et la Supercoupe en battant le Zamalek et depuis il n'a que confirmé en sélection”. Aboutrika, de son côté, a une aura qui a dépassé les frontières depuis plusieurs années. Son côté religieux n'est pas “innocent” à son statut au sein de la population. Auteur du but victorieux lors de la finale de la CAN-2008 (1 à 0 contre le Cameroun), le sociétaire du Ahly a derrière lui plusieurs anecdotes que les Egyptiens se font toujours un plaisir de raconter. Celle de la finale de la Champion's league africaine jouée contre l'équipe tunisienne de l'Etoile du Sahel en 2005 est souvent citée. “Je me souviens qu'après le match nul du match aller ici au Caire par un but partout, les Tunisiens commençaient déjà à jubiler et à nous provoquer. Ils avaient osé publier des photos dans lesquelles on pouvait voir Aboutrika se prosterner devant une statue représentant le club du Sahel. Cela l'avait beaucoup touché et son moral était au plus bas le jour du match”, nous raconta Gamal, inconditionnel Ahlaoui, qui ajoute que “je crois que le match retour a été un des plus mauvais de sa carrière. Il était totalement absent, mais à la toute dernière seconde des temps morts, et alors que les Tunisiens commençaient déjà à fêter leur sacre, il a tiré un tir incroyable, je dirai même divin, qui a fait gagner le Ahly la Coupe d'Afrique et surtout permis à Aboutrika de se venger”. L'auteur du seul but égyptien contre l'Algérie au match de juillet à Blida est d'ailleurs considéré comme “intransférable” par la direction du Ahly. L'été dernier, Aboutrika avait reçu une proposition du club émirati, El-Itahad, de 5 millions d'euros pour un contrat de six mois seulement. “Pas question”, a été la réponse du président des Tuniques rouges. Face à l'Algérie, l'espoir des Egyptiens est basé sur ce couple d'entraîneur-joueur ; “tant que nous avons Shehata et Aboutrika, on n'aura rien à craindre et le 3-0 sera au rendez-vous”.