Cosmopolite capitale aux mille facettes, cœur battant d'un royaume millénaire et authentique mégamétropole aux gigantesques contours, Le Caire respire la vitalité. La vie, au sens cairote du terme, est tout, sauf un jeu. Un tout qui se tient par les deux bouts, au centre duquel flirtent dangereu-sement fortune et dénuement ; ardeur et fatalité ; majesté, magie des lieux et tangible réalité du quotidien. Dans cet étendu soft chaudron populaire et populeux, où la xénophilie règne en maîtresse absolue, les incontournables et inévitables tentacules d'une vie de plus en plus difficile à assurer, de plus en plus délicate à amadouer et de plus en plus éreintante à endurer, enveloppent ardemment l'hétéroclite population locale. On l'aura bien compris, assimilé et vérifié : la vie au Caire est vraiment tout, sauf un jeu. C'est donc tout naturellement que la composante autochtone d'El-Qahira s'affaire au lieu de parler affaires, tente de survivre en oubliant presque de vivre et s'engouffre de plain-pied dans cette cruelle mais si belle incertitude d'une vie qui n'a rien d'un songe, bien aux antipodes d'une Algérie qui ne songe, justement, qu'à son équipe nationale de football et cette grande et si attendue explication du 14 novembre au… Caire ! Complètement a contrario de toutes les villes, communes, villages et petites agglomérations algériennes où l'emblème national s'est assuré l'entière toile de fond du panorama général, au Caire, pas un seul drapeau frappé de l'aigle n'est accroché, façon supporter. Rien n'indique que dans exactement un peu plus de 72 heures, la cité cairote sera le théâtre d'une rencontre décisive pour la qualification au premier Mondial africain de l'histoire. Pour n'importe quel touriste étranger non algérien, aucun signe ostentatoire se référant au football, à la sélection égyptienne, à son homologue algérienne ou encore à la Coupe du monde de la Fifa n'est visible ou détectable à l'œil nu. Pour les non-initiés au code de la rivalité footballistique entre les deux faux frères du défunt panarabisme, le sport roi planétaire est absent de la rue cairote. Du moins, c'est ce que Liberté a pu déduire et constater à travers une interminable plongée d'heures non-stop dans les travers de ce colossal pôle urbain. C'est d'ailleurs l'avis partagé par le très aimable Ashraf Zahra, un éditeur de livres et propriétaire de deux maisons d'éditions, l'une au Caire et l'autre à Beyrouth. Tout récemment rentré d'Alger où il avait pris part au Salon international du livre, ce Cairote qui “adore l'Algérie” autant que son Egypte natale, “comprend” même parfaitement “cette insouciance quasi inquiétante du peuple – cairote en particulier – vis-à-vis du capital rendez-vous de samedi prochain”. “Comparativement à ce que j'ai vu à Alger, à Oran et même à Jijel que j'ai eu l'occasion de visiter, il règne un calme plat dans ma cité. Cela ne veut nullement dire que nous ne nous intéressons pas à cette joute capitale. Bien au contraire. À l'instar de l'Algérien qui respire le football et ne vit, ces derniers mois, que pour son équipe nationale, l'Egyptien en fait de même. Seulement, mes compatriotes semblent avoir saisi la nécessite de faire la part des choses. Entre défiler drapeaux et banderoles en main, crier leur amour de la patrie et s'assurer une vie pour le moins décente, l'Egyptien a choisi le choix de la raison. Le rationnel dévore le passionnel et la quête du concret a largement pris le pas sur le plaisir de l'abstrait”, analysera lucidement ledit éditeur qui a passé une partie de sa jeunesse aux Etats-Unis et qui ne s'embarrasse aucunement de fioritures pour “préciser” que lui et sa petite famille entretiennent un certain niveau de vie, symbolisé par cette belle demeure pas loin du très BCBG Zamalek et ce bureau de 1 000 mètres carrés en pleine rue du palais du Nil, ainsi que par ce luxe ambulant qu'est son chauffeur personnel. El-khobza mieux qu'El-Kora ! Exemple “concret” de cette attirance naturellement affichée pour les “besoins réels de la vie d'un Egyptien” aux dépens de “ce qui ne devrait être qu'un hobby”, pour paraphraser notre interlocuteur, est le fait que lui-même a “décidé de ne pas assister à la rencontre en direct du Cairo Stadium”, mais plutôt répondre à une invitation professionnelle de la capitale qatarie Doha pour les besoins d'une éventuelle transaction “littéraire”. “El-Khobza afdhal mina El-Kora !” lancera même Ashraf Zahra en guise d'argument qui n'a rien de littéraire. Tout aussi branché football sans pour autant se détacher de “l'essentiel”, façon de parler cairote, le so british touristic manager de Delta Tour, Medhat Khaled, abonde quasiment dans le même sens. “Vous pouvez le constater par vous-mêmes. Ici, chacun est affairé à assurer ainsi qu'à sa famille cette si inespérée bouchée de pain. Tout comme nous – je le dis pour l'avoir déjà visitée – nos frères algériens sont eux aussi préoccupés par les tracas de la vie quotidienne et tous les problèmes d'ordre social y afférents. Mais si eux préfèrent faire la fête au lieu de penser à améliorer leur train de vie et/ou de penser à investir toute cette débordante énergie pour revendiquer des éléments basiques beaucoup plus primordiaux que ce sport devenu menaçant, libre à eux de le faire ! Mais il est clair qu'ici au Caire, qui demeure la vitrine par excellence de tout le pays, les urgences sociales éloignent de plus en plus les footeux de leur passion”, martèlera, gestuelle typiquement méditerranéenne aidant, ce jeune et dynamique cadre. Bien évidemment, avec un “salaire mensuel moyen de 600 livres (l'équivalent de 9 000 DA, ndlr), il me paraît assez difficile de trouver le temps de faire dans le m'as-tu-vu drapeau à la main !” renchérira, dans le même ordre d'idées et tel un identique son de cloche, Hossam, un ouvrier journalier. “Et puis, poursuivra-t-il, je n'ai pas besoin de chanter à la gloire de Mysr et de son équipe nationale pour prouver que j'aimerais bien la voir qualifiée à l'imminente Coupe du monde, cela ne ressemble pas à l'Egyptien typique”. Persuadés que le “public local saura faire vibrer le Cairo Stadium, car les Egyptiens sont très passionnés, assez chauvins, globalement excités, mais pas un brin violents”, nos différents interlocuteurs interrogés à ce sujet ont, cependant, laissé entrevoir des signes d'appréhension qui ne trompent pas, relatifs dans leur ensemble “à une certaine crainte de voir les supporters algériens présents faire sortir le match en lui-même de son cadre sportif par l'entremise d'actes de vandalisme qui risquent d'obliger les agents de l'ordre, qui seront présents en force, à intervenir et à envenimer ainsi l'atmosphère”. “La raison ? On ne vit pas, on survit !” Cette anxiété pas vraiment dissimulée est surtout “dictée, malheureusement, par le prototype même du supporter algérien tel que perçu ici en Egypte, comme un inconditionnel qui fait la fête et verse dans l'euphorie triomphaliste en cas de succès pour se transformer carrément en hooligan destructeur les soirs de défaite”, estimera le même Hossam, non sans faire le parallèle avec “le supporter égyptien qui n'osera jamais détériorer un édifice public ou saccager et vandaliser une enceinte sportive, car, prenant grand soin de ne surtout pas altérer l'image de marque d'Oum Eddounia”. Du haut des mythiques pyramides du Gizeh qui ont subjugué même le plus atypique des empereurs, le bien-nommé Napoléon Bonaparte, de là même d'où plus de 5 000 siècles d'histoire contemplent cette indéfinissable fourmilière cairote, le vent de la rivalité footballistique dont se nourrissent les Algériens, matin, midi et soir, n'a visiblement pas (encore) soufflé sur la cité millénaire. Là même où la vie n'est pas vraiment un jeu. Mais là où inévitablement le jeu fait bel et bien partie de la vie.