Le retour de la protestation dans le secteur de l'éducation nationale confirme, si nécessaire, le grand malaise qui y prédomine. En effet, moins de deux mois après la rentrée scolaire 2009-2010, une seconde grève est déclenchée dans ce secteur, après celle du 5 octobre dernier, par cinq syndicats. Ceux-ci revendiquent essentiellement l'élaboration d'un régime salarial à même de se connecter à leur pouvoir d'achat. Aussi, la question des régimes indemnitaires et la requête relative au respect de l'effet rétroactif, comme décidé initialement avec l'ancien Chef du gouvernement, n'est que la face visible de l'iceberg. Pourtant, elles se sont vite transformées en une affaire de principe aux yeux des syndicats, majoritairement appuyés par les enseignants. Selon eux, les récentes instructions données par le Premier ministre, Ahmed Ouyahia, sur les modalités de révision des régimes indemnitaires des différents corps de fonctionnaires, sur la base des nouvelles contraintes budgétaires, remettent en cause l'ensemble de la question de la rétroactivité de la grille salariale : avec l'annulation de l'effet rétroactif, les enseignants perdent un joli pactole de 120 000 à 190 000 dinars d'indemnités. On peut disserter longtemps sur “la maturité syndicale” que doivent acquérir les syndicats autonomes. Mais, comment les aider alors dans leur dur et nécessaire apprentissage, si les portes du dialogue et de la concertation leur sont fermées et si les promesses de leur tutelle sont elles-mêmes sujettes à des remises en cause par les “décideurs” ? Sur ce sujet, sauf décision de dernière minute, on constate que la tripartite, regroupant le gouvernement, le patronat et l'UGTA, exclut de fait les syndicats autonomes du rendez-vous du 3 décembre prochain. Certes, il se trouvera toujours quelqu'un pour rétorquer que l'UGTA est la plus représentative du monde du travail ou la plus habilitée à se prononcer, en son nom, lors des réunions bilatérales (avec l'Exécutif) et des tripartites. Mais, qu'est devenue vraiment cette organisation, à l'histoire si impressionnante et à l'expérience si enrichissante, qui a fini pourtant par devenir une caisse de résonance des pouvoirs publics, allant jusqu'à neutraliser ses propres cadres et militants de base, sans oublier ceux qu'elle a sacrifiés ou reniés? Sur un autre plan, on note que les cinq organisations syndicales, à l'origine du débrayage, appellent cette fois à d'autres arbitres, en interpellant directement le président de la République et le Premier ministre, puisque les cordons de la bourse échappent au ministère de l'Education. Ce qui, d'une certaine manière, signifie un désaveu de l'institution dirigée par Boubekeur Benbouzid. Sous d'autres cieux, le ministre en charge du secteur de l'Education aurait démissionné, mais chez nous, la tutelle a décidé d'aller jusqu'au bout de sa logique, tenant tête aux syndicats et tentant de peser de tout son poids, dans le bras de fer qui l'oppose aux enseignants et à leurs représentants. Avec le retour de la protesta, il est facile de s'en prendre à telle ou telle partie, comme il est facile de recourir à la culpabilisation ou à d'autres logiques limitées, en discourant, par exemple, sur les divergences, réelles ou fictives de ces syndicats, parce qu'ils n'appellent pas tous à une même grève, à la même date et à la même durée. Mais, ce qui se passe, actuellement, sur le terrain éducatif interpelle différents acteurs, non seulement le ministère de l'Education nationale et les enseignants (et leurs syndicats), mais aussi les parents d'élèves, ainsi que le premier magistrat du pays et l'Exécutif. Car, dans ce match, où se disputent la détermination des syndicats à poursuivre leur mouvement de grève en vue de la satisfaction des revendications, et la volonté du ministère de l'Education de maintenir l'ordre, se joue l'avenir d'un secteur des plus stratégiques et donc celui des élèves. Un secteur engagé depuis 2003 dans une réforme, qui est loin d'ouvrir l'Ecole algérienne aux enjeux et défis du siècle, notamment en matière de qualité et de connaissances. À cela viennent se greffer un statut particulier de l'enseignant et un régime indemnitaire encore problématiques, ainsi que les difficultés d'ordre socioéconomique. Aujourd'hui, il est difficile de contester la légitimité des revendications qui appellent à une amélioration du SNMG, dans un contexte malaisé qui frappe principalement les couches moyennes et les franges les plus pauvres. À l'instar des autres secteurs, les salariés de l'éducation sont frappés de plein fouet par la dégradation du pouvoir d'achat et la cherté de la vie qui, depuis quelques années, enregistre une inflation élevée. Les statistiques disponibles montrent que les travailleurs algériens sont les moins payés dans la région du Maghreb : la masse salariale représente 12,1% du PNB en Algérie, alors qu'elle est de 30% en Tunisie et 20% au Maroc. Il est certain que la manne pétrolière est à l'origine de plusieurs maux en Algérie, entre autres dans l'entretien de l'esprit rentier ou l'émergence des fortunes ostentatoires. Mais, tout en travaillant pour que les choses se rationalisent, pour que les salaires intègrent les “paramètres de la productivité, la croissance économique et l'inflation” et pour que la rente pétrolière soit distribuée de façon impartiale, il y a urgence à réduire l'étendue du fossé dans les revenus, en commençant par le relèvement du salaire minimum, non pas en ajoutant des “miettes”, mais en adéquation avec le pouvoir d'achat. Il y va de la cohésion nationale.