Bouillonnante plaine mais inattendu lieu de haine, la petite place qui sépare l'aéroport international du Caire de l'Iberotel aura été, l'espace d'une courte randonnée aux mille dangers, le terrain d'un terrible traquenard dont a été victime l'équipe nationale au cours de son expéditif trajet vers son Q. G. Arrivée au Caire à 16 heures en provenance de Florence, la sélection nationale n'a d'ailleurs pas tardé à quitter la grande enceinte aéroportuaire par la porte 4, celle réservée habituellement aux V. I. P. À l'abri des regards indiscrets puisque coupés du monde extérieur comme l'ont souhaité du reste les responsables de la Fédération algérienne de football, les coéquipiers de Rafik Saïfi étaient très loin de se douter qu'au moment où ils se prêtaient aux rapides formalités douanières d'usage, la vingtaine de journalistes et photographes représentant les différents organes de presse algériens ayant dépêché au Caire leurs envoyés spéciaux étaient en train de vivre un véritable cauchemar en plein jour. Déjà que pour arriver à proximité de cette porte 4 du gigantesque aérodrome cairote, les envoyés spéciaux de la presse algérienne ont dû montrer patte blanche aux responsables de l'impressionnant cordon sécuritaire mis en place pour… empêcher ces professionnels “algériens” d'approcher leur équipe nationale. Les journalistes attaqués à l'aéroport, un enfant matraqué Le mot d'ordre était, en fait, de tenir ces journalistes éloignés des Verts. À ce black-out qui n'avait pourtant pas lieu d'être est venu s'ajouter, outre une rigidité de ce service d'ordre cairote, la menace rampante d'un hétéroclite groupe de supporters égyptiens qui se tenait non loin des Algériens. Le pire faillit même se produire lorsque cette grappe humaine, dont le nombre dépassait aisément les 500, entreprit de sauter la barrière qui séparait les deux “camps” pour “charger” les journalistes algériens au milieu desquels une dizaine de supporters des verts s'étaient glissé, le tout dans un climat de tension symbolisé par ces chants très hostiles à tout ce qui se rapporte au DZ. “C'est de la provocation et une honte ! Comment osez-vous les laisser faire alors que l'un de vos agents est allé même jusqu'à frapper cet enfant âgé à peine d'une dizaine d'années ? Regardez cet hématome à l'épaule ! Regardez bien, car vos hommes qui lui ont fait cela !” s'emporte d'ailleurs l'un de ces supporters algériens venus accueillir les Verts, en montrant l'épaule d'un gamin qu'il tenait par la main, avant d'entonner, en chœur avec les autres membres de ce groupe réduit d'inconditionnels de l'EN, l'hymne national à la face du dispositif sécuritaire égyptien. Mais alors qu'ils avaient fait preuve d'intransigeance avec les Algériens en les entourant d'un cordon de sécurité qui les empêchait même d'avancer ou de reculer dans un périmètre réduit, les éléments de l'ordre égyptien ont, par contre, été très coopératifs avec leurs compatriotes en leur laissant la liberté de faire (presque) tout ce qu'ils voulaient. Fumigènes égyptiens contre l'hymne algérien ! C'est ainsi que quelques durs sont allés même jusqu'à escalader un grand pylône en haut duquel trônait une grande affiche publicitaire pour hisser les couleurs égyptiennes avant de dégoupiller un fumigène qui allait rapidement être suivi d'un autre. À ce moment, l'autocar transportant les poulains de Rabah Saâdane avait déjà quitté son arrêt du devant de ladite porte V. I. P. pour foncer à vive allure vers l'établissement hôtelier qui devait servir de quartier général en attendant le jour J. Mais bien qu'au passage éclair de la délégation algérienne, d'où l'on pouvait juste voir un drapeau national brandi à même la vitre par le gardien de but remplaçant Fawzi Chaouchi, le ton soit vite monté chez cette grappe humaine égyptienne qui s'est alors déchaînée, on pensait que c'en était fini de cet accueil si spécial et tellement xénophobe dont les journalistes, photographes algériens et supporters algériens ont souffert beaucoup plus que les joueurs. Mais c'était mal connaître les “frères” égyptiens et leurs méthodes d'intimidation à l'occasion desquelles ils rivalisent de machiavélisme. En fait, au moment où ce groupe qui avait visiblement à charge de “souhaiter”, à sa manière, la bienvenue à nos compatriotes, un autre groupe, qui se tenait à quelques mètres seulement de l'entrée principale de l'hôtel, était déjà en place et n'attendait que les Verts pour mettre à exécution son plan de bataille. Portail fermé, sécurité affaiblie et rafales de pierres enchaînées Sitôt arrivé à hauteur de l'Iberotel après avoir fait le rond-point qu'un jet de pierre séparait de l'aéroport, l'autocar transportant la délégation nationale a ainsi été, au moment même où il avait ralenti devant le portail de l'hôtel étrangement fermé, pris sous un déluge de grosses pierres, lancées à bout portant par un groupe d'ultras égyptiens qui s'étaient scindés en deux pour occuper les deux parties de la chaussée et ne rater aucune cible, en l'absence énigmatique d'un quelconque cordon sécuritaire. Sous ces coups de boutoir en forme d'une violente et incessante rafale de grosses pierres, presque toutes les vitres de l'autocar des Verts volèrent en éclats. Dénombrant quatre blessés, mais surtout paniquée et sous le choc d'une telle attaque par surprise, l'équipe nationale venait d'avoir un réel avant-goût de ce que sera son séjour en terre égyptienne. Au black-out imposé par l'impossibilité d'accéder à l'intérieur de l'hôtel et de s'enquérir de visu de l'état ou de la gravité des blessures des sociétaires de l'EN, “sur décision de votre fédération”, insiste la “garde” égyptienne, les représentants des différents organes de presse seront, dans le même cadre spatio-temporel, confrontés à l'inflexibilité du service de sécurité local, subitement redevenu efficace, sitôt “l'attaque préméditée” contre les coéquipiers de Mourad Meghni exécutée. Halliche, Lemouchia, Saïfi et Belhadj, victimes d'une agression calculée La nouvelle relative à l'identité des blessés que sont le milieu de terrain Khaled Lemouchia (trois points de suture derrière la tête), le défenseur central Rafik Halliche (deux points de suture au front), l'attaquant Rafik Saïfi au bras ainsi que l'entraîneur des gardiens de but Salem Belhadj s'étant confirmée, l'interrogation principale des journalistes algériens couvrant l'événement tournait autour de l'état d'esprit dans lequel se trouvait justement la composante humaine des Verts, dont la majorité est composée de professionnels n'ayant certainement jamais vécu pareille mésaventure dans leurs clubs respectifs. Une communication officielle émanant des responsables de l'EN devenait de plus en plus nécessaire, d'où l'insistance des envoyés spéciaux des médias algériens auprès de ceux qui veillaient au grain et qui scrutaient tout ce qui bouge devant l'imposant portail sur glissière faisant office de premier barrage “policier” à l'entrée de l'espace hôtelier. Mais au moment où une intervention de Mohamed Raouraoua semblait inévitable pour donner, côté algérien, une interprétation officielle à ce cauchemar égyptien, c'est contre toute attente que le ministre de la Jeunesse et des Sports, M. Hachemi Djiar, ira à la rencontre des journalistes pour un bulletin d'information oral sous la forme d'un point de presse improvisé sur… le trottoir ! Ballet diplomatique à l'Iberotel Voulant relativiser, rassurant et faisant preuve d'une grande retenue, Hachemi Djiar répondra aux interrogations qui lui ont été posées, non sans inviter à son tour ses interlocuteurs à en faire autant et à ne pas donner des proportions alarmantes ou alarmistes à propos de ce qui venait de se passer. Les minutes s'égrenaient et la tension ne baissait toujours pas, maintenue qu'elle l'aura été par ces informations de montée du mercure populaire au bled, où la nouvelle de “l'agression caractérisée et préméditée” dont a été victime l'équipe nationale aura déjà fait le tour des chaumières, des cafés maures, des places sportives et des fiefs d'inconditionnels d'El-Khadra. 20h17 exactement, un autre ministre, celui des Affaires étrangères, M. Mourad Medelci en l'occurrence, arriva à son tour, visiblement en urgence, au lieu d'hébergement des Verts. Premiers pas en sautant de voiture et déjà premiers mots dénotant un grand dépit. “Désolant, vraiment désolant... ”, sera ainsi l'expression lancée par un Medelci pressant le pas sous la pression de sa garde rapprochée qui ne souhaitait, apparemment pas qu'il rate la réunion d'urgence regroupant à l'intérieur de l'hôtel toutes les hautes sphères dirigeantes algériennes. À sa sortie, M. Medelci sera, par contre, plus explicite en levant le voile sur la position de “l'Algérie officielle” vis-à-vis de cette arrivée mouvementée et maculée de sang. Le ballet diplomatique se poursuivra, aux portes de l'hôtel, avec l'aller-retour de l'ambassadeur algérien au Caire, M. Abdelkader Hadjar, dont les propos, plus virulents et plus tranchants, n'ont laissé place à aucune ambiguïté. Question de battre en brèche à force d'arguments les affirmations fabulatrices du président de la Fédération égyptienne de football Samir Zaher qui, dès son entrée à l'Ibrotel, lancera à la face des responsables algériens un message qui n'a de cohérent et de logique que son absurdité. Fabulation de Zaher et ce chauffeur qui accuse un ministre ! “Nous avons établi un rapport et nous détenons même des preuves qui démontrent que ce sont les supporters algériens qui ont attaqué votre bus. D'ailleurs, ces supporters qui vous ont pris pour cible avaient des fumigènes en main. Et sur ce point, vous savez très bien que ce genre de trucs sont étrangers aux mœurs égyptiennes !” annonce, à ce sujet, en toute déraison, Samir Zaher. Pour avoir, assurément, le même don pour les calomnies, le chauffeur égyptien du car ayant transporté l'EN affirme, lui, que “ce sont les joueurs algériens qui ont brisé les vitres de l'intérieur”. “Même leur ministre (de la Jeunesse et des Sports, ndlr) m'a agressé et m'a subtilisé la clef du véhicule”, témoigne-t-il aux différents éléments du service d'ordre local, dont des “experts” de la police scientifique. N'ayant, selon toute vraisemblance, aucunement tardé à faire la part des choses et à revenir dans le monde réel après un intermède “horreur et frayeur”, fort heureusement sans dégâts consistants, les poulains de Rabah Saâdane, loin de l'inquiétude qui avait soufflé un vent de panique sur toute l'Algérie, ont, de l'autre côté de l'ex-hôtel Movambic, retrouvé même leur esprit de compétiteurs dans l'âme, effectuant, pour l'anecdote, une séance d'entraînement assez légère dans le jardin de l'hôtel où ils séjourneront tout au long de leur cinquantaine d'heures de présence en terre cairote. Les Verts se galvanisent, s'entraînent et scandent “vive l'Algérie !” Mais avant de rechausser leurs crampons, certains joueurs, à l'image de Rafik Saïfi, se sont fait un devoir de transmettre leurs téléphones portables à des amis intermédiaires proches de quelques supports médiatiques afin de faire circuler, sur le net, les vidéos montrant l'attaque dont ils ont été victimes quelques minutes auparavant. Une preuve irréfutable montrant, en temps réel, l'attaque de l'intérieur de l'autocar de l'EN ainsi que les éléments blessés. Un témoignage filmé qui contraste on ne peut plus clairement avec les preuves abstraites et qui ne tiennent même pas la route du sieur Samir Zaher. Un devoir de vérité que se sont ainsi fait les Saïfi and co avant d'aller se changer les idées à l'occasion d'une séance qui s'est déroulée dans une ambiance décontractée, croit-on d'ailleurs savoir. Il ne pouvait, du reste, en être autrement, venant de la part d'un groupe qui, en dépit du guet-apens dont il a été victime quelques minutes plutôt, pénétra à l'hôtel, non pas en courant baissant la tête ou se couvrant le visage, mais plutôt en conquérants, la tête bien haute et en reprenant en chœur le fameux et indémodable “One, two, three, viva l'Algérie”. Une manière de s'exorciser contre cette malédiction des arrivées piégées d'équipes algériennes au Caire, dont un nouveau, inattendu et tellement incroyable chapitre est venu noircir davantage le tableau et envenimer une relation réciproque qui n'a, version foot, absolument rien à voir avec une quelconque fraternité. R. B.