Nelly Amri est professeur d'histoire médiévale à l'université de la Manouba à Tunis. Dans cet entretien, elle évoque la présence des “femmes salihates” dans les voies religieuses, et la nécessité de considérer le soufisme comme une science. Liberté : Votre communication, hier matin, a porté sur la présence du prophète Mohammed (Qssl) dans les Voies soufies en Afrique, à l'ère hafsie. Pourquoi le choix de cette période précisément ? ll Nelly Amri : Parce que c'est mon domaine de prédilection, et que ma thèse de doctorat que j'ai publiée en deux tomes, a porté sur la présence du Prophète Mohammed à l'ère hafsie, qui s'est étalée du début du 13e jusqu'à la fin du 15e siècle. Les Hafsis ont eu le pouvoir après l'Etat El-Mouwahidiyya. Et cette période représente une période charnière dans l'histoire du soufisme dans le Maghreb islamique et en Afrique. Ce n'est pas une étape qui a permis la fondation du soufisme, mais une période qui a été la plus marquée par le soufisme, car il y avait un grand nombre de soufis. Aussi, les zaouis ont-ils eu un très grand rôle social, notamment en enseignant les sciences religieuses. C'était un véritable refuge, surtout pour les plus démunis et même pour les étudiants. Et depuis le 13e siècle, les zaouïas ont gagné le respect de tous. Qu'en est-il de la présence de la femme dans le soufisme ? Comment l'évaluez-vous à cette période médiévale ? ll Les femmes n'étaient pas exclues et il y a beaucoup d'exemples de “Nissaâ salihates”. Mais malheureusement, il n'y a pas beaucoup de références concernant ces femmes-là. Par exemple, on ne trouve rien sur le compte de Oum Yahia Mariam, qui était surnommée El-Mourabita, à part des textes de son cheikh, Abou Youssef Eddahmani, qui avait une relation assez particulière avec lui. Elle l'accompagnait dans ses voyages et priait même avec lui. Oum Yahia Mariam n'est pas un cas particulier, il y a aussi le cas de Oum Salama Zeineb, qui a vécu à la même époque, mais malheureusement il n'y a aucun texte concernant cela, ou alors ils sont quasi introuvables. C'est dommage car nos sociétés médiévales étaient beaucoup plus tolérantes que nos sociétés actuelles. C'est une sorte d'exclusion donc ? ll Il peut y avoir une sorte d'exclusion, mais le mot est fort. Car il y a des femmes qui sont reconnues, et qui ont pu accéder aux plus hautes cimes du soufisme. Moi, personnellement, j'ai travaillé sur le cas de Aïcha El-Mannoubiyya, dont j'ai beaucoup parlé dans différents colloques. Je lui ai consacré également un livre que j'ai appelé La Sainte de Tunis. Ce livre est sorti récemment en France, aux éditions Actes Sud, dans la collection Sindbad. Beaucoup d'intervenants de ce colloque ont insisté sur le fait que le soufisme était une science. Êtes-vous de cet avis ? ll Il faut toujours recontextualiser. Le soufisme est une science et le comparatisme est une science également. Oui, le soufisme est une science et nous en tant que chercheurs, nous devons être rigoureux en nous contentant de comprendre les faits et les comportements en les relativisant et en les recontextualisant, c'est-à-dire en les resserrant et restituant dans un espace et un temps. Il faut toujours remettre dans un contexte historique. Le soufisme s'étudiait avant à l'université, mais ceci a disparu de nos jours.