Qui se souvient de ce grand homme libre, à la foi chrétienne, ce grand militant pour l'indépendance de l'Algérie, cet intellectuel algérien tolérant, éclairé et organique ? Qui se souvient de l'abbé Alfred Berenguer, l'enfant du petit village agricole El Amria, dans la wilaya de Aïn Témouchent ? Je suis fier et chanceux d'avoir eu ce militant et écrivain, Alfred Berenguer, comme professeur d'espagnol et de français. Modeste, sérieux, brillant et souriant, il était aimé et respecté par tout le monde de notre collège polyvalent de Tlemcen. Cela s'est passé au début des années soixante-dix, j'étais en classe de cinquième (2e année du collège). Avec un professeur à l'image d'Alfred Berenguer, l'école algérienne était une “Ecole”, symbole de l'éducation, de la connaissance et fenêtre grande ouverte sur les “vents” du monde. Jadis, le professeur était “professeur”, signe de respect et d'intelligence. Jadis, la leçon était un vrai “cours”, ni démagogie ni fanatisme. Ce fut une chance d'avoir eu Alfred Berenguer comme professeur. Et mon professeur ne ressemblait pas aux autres. Tantôt, il nous parlait sur le ton du poète, tantôt sur celui du guerrier infatigable. Il était à notre écoute, sensible à nos questions et à nos rêves. Il portait un sombrero, à la façon latino-américaine. Et l'image de cet homme unique me hante, en ces jours de double crise: celle du système éducatif et celle des références d'identité, surtout après le match Algérie-Egypte. Souvent, nous oublions ceux qui ont fait de cette Algérie leur rêve et leur combat pour la liberté et la dignité humaine. Et Alfred Berenguer fut un de ces oubliés. Aujourd'hui, avec cette question d'identité perplexe et profonde, qui se pose et s'impose, après le match Algérie-Egypte, penser la Révolution algérienne, c'est penser à ces oubliés qui, depuis les premières heures du mouvement national, ont participé à la construction de l'indépendance de notre pays, le leur. C'est lui, l'abbé Alfred Berenguer, qui m'a appris l'espagnol. Il fut mon professeur de cette belle langue. C'est lui qui m'a plongé la tête dans les livres des grands écrivains espagnols et latino-américains : Cervantès, Garcia Lorca, Fuentes, Marquez, Neruda et d'autres. En lui, en cet homme intellectuel, humaniste et courageux, j'ai appris que notre Révolution était grande et universelle. Ses cours étaient un brassage d'histoire, de littérature, de politique, de langues et de souvenirs d'amis : Ben Bella, Guevara, Abane Ramdane, Djamila Bouhired et d'autres…. A. Z. [email protected]