L'exploit réalisé à Khartoum par l'équipe nationale de football a brusquement émancipé l'esprit des gens des cris et plaintes résiduels qui montaient encore de cette époque tourmentée des années 1990 marquée par la tragédie nationale. Il venait tout d'un coup, tel un puissant rayon de soleil, déchirer le nuage épais qui obstruait de sa tristesse la perspective d'un espoir renaissant, induit par le processus de reconstruction mis en œuvre depuis une décennie. Et au milieu des provocations et des reproches infondés émanant d'un coin du monde où la victoire des Verts a été ressentie, à tort, comme une offense, s'est imposé d'instinct, en Algérie, un hymne de fierté. Cet hymne s'est élevé comme pour refermer le cycle tragique ouvert en 1988-1990 et pour ramener les consciences à cette authenticité inaltérable qui, en réalité, n'a pas cessé d'agir au plus profond de l'âme nationale, à laquelle elle a évité de rompre avec ses sources de dignité, de courage et de mouvement qui forcent le respect. Il rappelle les effluves sonores des périodes lyriques ayant marqué dans notre pays le troisième quart du siècle écoulé, ainsi que les générations qui ont baigné dans leurs harmonies, avant que n'advienne, au crépuscule de ce siècle, la crise nationale et son cortège de deuils. En fait, c'est un double exploit que notre équipe nationale a réalisé. D'abord, un exploit sportif qui a ouvert la voie de la CAN et de la Coupe du monde. Ensuite, un exploit moral qui a fait réouvrir à la nation les yeux sur elle-même, ainsi que sur le sentiment d'une originalité que toute comparaison renforce d'une valeur inaliénable et d'un génie que les malheurs, les fautes, les querelles et les passions d'une fin de siècle agitée n'ont pas réussi à effacer. Mais ce n'est pas à ce seul constat qu'il faut se limiter. Car par-delà l'euphorie momentanée de la victoire et les fortes émotions que celle-ci a fait naître, c'est aussi l'occasion d'une halte propice à la méditation et à la réflexion objectives sur la gestion du sport en général et du football de haut niveau en particulier dans notre pays. D'abord, comment notre équipe nationale en est-elle arrivée là ? Ce n'est ni un miracle ni un effet du hasard. C'est par les dispositions appropriées prises conjointement à l'automne 2007, par le ministère de la Jeunesse et des Sports et la Fédération algérienne de football, au lendemain de la défaite contre la Guinée, que le sursaut a eu lieu. C'est aussi par un travail patient et un effort soutenu de préparation accomplis par les joueurs et leur encadrement depuis cette date que l'exploit est devenu possible. Que ce soit, le plus souvent, dans leurs clubs respectifs ou bien lors des regroupements pour les stages à la veille des compétitions, les joueurs ont fait preuve d'une application et d'un sérieux tout à fait louables. Ils avaient parfaitement compris que le résultat est au bout du travail et de l'effort. Aussi, c'est l'occasion ici de rendre un hommage appuyé aux clubs qui ont fait confiance au talent de ces joueurs, permettant ainsi leur sélection en équipe nationale. De rendre également un hommage appuyé au staff technique de cette équipe ainsi qu'aux dirigeants et à toutes les personnes qui se sont mobilisés, depuis si longtemps dans l'anonymat, pour accomplir leur part de la tâche. Que ce soit au niveau du ministère, de la fédération ou de toutes les autres structures, chacun a donné le meilleur de lui-même, sans interruption, pendant plus de deux ans. En célébrant aujourd'hui les mérites des Verts qui ont offert généreusement à la nation et à sa jeunesse l'opportunité de retrouver leurs repères afin de mieux chercher leur route dans un monde incertain, sans jamais se laisser décourager ni abattre, les Algériens, par dizaines de millions, ont parfaitement pris la pleine mesure de l'effort accompli en commun pour aider ces joueurs talentueux à aller le plus loin possible. Et c'est donc, aussi, la célébration de cette collaboration féconde, venue à point nommé transcender les divergences d'opinions, les incompatibilités de tempéraments, ainsi que les clivages idéologiques, politiques et sociologiques qui ont nourri les tensions et opposé violemment, durant toute une décennie, les enfants de ce pays rompu à toutes sortes de défis qu'il a eu à relever au cours d'une histoire millénaire. Il y a une puissance significative dans une telle mobilisation autour de l'équipe nationale de football. L'Etat, sous l'impulsion de son chef, le pays et sa jeunesse attentifs au déroulement de chaque compétition ont fourni à cette équipe palpitante de volonté, ainsi qu'à son encadrement, les ressources matérielles et morales qui leur ont permis de commencer à gravir les marches d'une gloire renaissante. Et pour un pays comme le nôtre, dont la principale richesse est la qualité de sa jeunesse et la cohésion de son peuple, rien ne doit compter davantage aujourd'hui que la culture méthodique du travail collectif sans lequel aucun progrès n'est possible. Car, dans le monde actuel, les enjeux ne manquent pas, quel que soit le domaine. C'est le cas, par exemple, en matière de sport de haut niveau où les enjeux sont considérables.Au niveau mondial, et à l'instar du segment économique, le sport de haut niveau tend, en effet, à se dégager de plus en plus de la sphère étatique pour s'incorporer à une logique de marché et s'inscrire fatalement dans la mondialisation. Aussi, les grandes compétitions de référence sont devenues des enjeux économiques gigantesques. Les sociétés multinationales utilisent ces compétitions pour s'ouvrir des marchés à l'échelle planétaire et conférer au sport le statut d'une société du grand spectacle, adossée à une marchandisation universelle des élites sportives. Ce qui induit une démultiplication des allures que prend l'image du sport : sport-exploit, sport-spectacle, sport-loisir ou sport-épanouissement personnel. Ce qui induit aussi une réalité tangible, à savoir que des groupes d'intérêt et des lobbies puissants sont désormais susceptibles, sinon de contrecarrer, du moins d'influencer des politiques publiques censées, elles, veiller à ce que l'activité sportive ne se déconnecte pas de l'intérêt général. Dans ce contexte, les sportifs de haut niveau sont donc exposés au risque bien réel de devenir de simples produits marchands sur un marché mondialisé, et à n'être ainsi assimilés qu'aux exploits réalisés. Ce qui apparaît déjà à travers, notamment, les surenchères des droits de retransmission télévisuelle, la disparition des écrans de certaines disciplines sportives et l'adaptation des règles du jeu aux intérêts des fabricants d'articles et équipements sportifs. Si elle offre de réels avantages, cette logique du tout économique ultralibéral n'est pas moins de nature à constituer une menace pour l'équilibre indispensable à opérer entre les règles du marché, qui régissent désormais le sport de haut niveau, avec leur corollaire qu'est l'autonomie revendiquée par le Mouvement sportif international, et la régulation des activités sportives qui, elles, ne doivent pas cesser de participer pleinement de l'intérêt public incarné par l'Etat. C'est là, en vérité, le fond d'un débat interminable entre les pouvoirs publics et le Mouvement sportif dans presque tous les pays. En Algérie, si les enjeux ne sont pas de la même échelle que ceux qui viennent d'être rappelés, il n'y a pas moins un enjeu majeur. Cet enjeu est celui d'une relance du sport qui soit capable de lui assurer un développement pérenne. Cet enjeu est devenu aujourd'hui l'une des préoccupations essentielles des pouvoirs publics. Cela concerne toutes les disciplines, notamment la plus populaire d'entre elles : le football.En effet, la percée réalisée par l'équipe nationale au prix d'un effort soutenu de plus de deux ans et le succès de l'Entente de Sétif à l'échelle nord-africaine ne doivent pas masquer une réalité amère qui est que le football algérien n'est pas au meilleur de sa forme. L'espace forcément limité imparti à cette préface ne permet pas d'étaler dans le détail les causes multiples d'une crise qui perdure depuis près d'un quart de siècle. Il suffit d'en signaler deux parmi les plus déterminantes, à savoir : d'une part, une rupture brutale, car non préparée, avec le système établi par la réforme de 1976-1977, d'autre part, les contextes tragiques qu'a vécus le pays au cours de la dernière décennie du siècle écoulé, et dont les retombées destructrices n'ont épargné aucun domaine de la vie nationale, y compris donc le domaine sportif. Cette situation nous a imposé en tout cas de réagir, à la faveur de la sonnette d'alarme tirée au plus haut niveau de l'Etat par le président de la République lui-même. Un vaste chantier fut ainsi ouvert visant à établir une stratégie de relance dans le cadre d'une politique publique cohérente dédiée au sport. Un Rapport intitulé “Politique nationale du sport” a été alors élaboré suite à un diagnostic stratégique et à une large concertation amorcée en juin 2008, juste après la finalisation d'un premier rapport intitulé “Politique nationale de la jeunesse” qui a été soumis au gouvernement en date du 31 mai 2008. La “Politique nationale du sport” a fait à son tour l'objet d'examen par le gouvernement en date du 29 septembre 2009, avant d'être ensuite soumise au Conseil des ministres en sa réunion du 30 décembre 2009. Et le premier dossier opérationnel décliné de cette “Politique nationale du sport” est précisément celui du football, lequel a été préparé en étroite collaboration avec la fédération concernée. S'agissant d'abord de la Politique nationale du sport, elle s'articule sur dix programmes conçus pour être complémentaires et donc d'une égale priorité comme les murs porteurs d'un édifice. Cela concerne tous les facteurs de la relance. Depuis la gouvernance du système sportif national jusqu'au travail intersectoriel, en passant par la généralisation de la pratique, le système de financement des activités sportives, les infrastructures, l'indispensable formation des jeunes talents, le sport en milieux d'éducation et de formation, la recherche en sciences du sport, la médecine sportive, l'éthique sportive, la lutte contre la violence dans les stades, la lutte antidopage et autres aspects, rien n'est laissé au hasard. La mise en œuvre de ces programmes, par un travail articulé sur la persévérance dans l'effort, est de nature à mettre le sport algérien en position ascendante et en situation d'assumer ses fonctions multiples, essentielles pour la cohésion de la société, la préservation de l'ordre public, ainsi que pour la santé physique et morale de la jeunesse. S'agissant ensuite du football, l'option stratégique qui est à l'étude consiste à assurer, à terme, une nette séparation entre l'amateurisme qui est, par sa nature, avant tout un loisir, un facteur d'éducation, de santé et d'épanouissement personnel pour ceux qui le pratiquent et le professionnalisme qui constitue, pour ceux qui en suivent la voie, un vrai métier, avec ses règles propres et sa finalité qui est de produire de la performance, du spectacle et des revenus au plus haut niveau de la compétition. Que ce soit pour la “Politique nationale du sport” ou bien pour ce premier dossier du football qui en est décliné, ainsi que pour les autres dossiers, le souci majeur qui en guide l'élaboration est celui de la mise en œuvre effective sur le terrain, selon la perspective d'une action continue sur le moyen et le long termes, sans laquelle rien de durable et de solide ne pourra être édifié. Une mise en œuvre qui ne peut, en outre, s'opérer sans une réelle conjugaison des efforts et une parfaite harmonie entre les intervenants publics et associatifs, dans le cadre d'un partenariat “public-public” et “public-privé”. À cet égard, et concernant le football, la question de la transformation des clubs de l'élite par exemple, en clubs professionnels, sera examinée incessamment, à la lumière des conditions posées par la FIFA pour toute participation future aux compétitions internationales, ainsi que du fait que la haute performance demande un investissement considérable, programmé et constant, qui ne peut en aucune manière relever de l'amateurisme. Elle se mesure par des critères objectifs et rationnalisés. Elle nécessite une détection précoce, un entraînement régulier et intensif impliquant une formation permanente et une planification à court, moyen et long termes, sans oublier la reconversion sociale post-compétitive des sportifs et même de leurs entraîneurs. On voit bien qu'il y a encore un chemin laborieux à parcourir pour entrer dans cette logique et hisser ainsi notre pays dans le peloton de tête des grandes nations du football.Les joueurs de l'équipe nationale et, à un degré moindre, ceux de l'Entente de Sétif, viennent de nous démontrer que rien n'est impossible. Mais nous ne pouvons développer et pérenniser notre présence au plus haut niveau de la compétition que si ce grand sport populaire est conçu, à ce niveau, comme un vrai métier, et si les performances deviennent des fruits naturels du championnat local. Mais cela ne signifie nullement que les joueurs qui évoluent à l'étranger n'ont pas un ancrage en Algérie. En fait, leur ancrage est bien réel. Il a été traduit à travers l'amour viscéral exprimé, à maintes occasions, par ces joueurs pour leur pays d'origine. Leur entrée dans chaque foyer où ils ont apporté l'espoir, le rêve et la joie aux familles, à la faveur des différents matches et à travers la télévision nationale, a consacré les liens indissolubles qui les rattachent à leur peuple. C'est, en tout cas, à raison des éléments qui viennent d'être succinctement exposés que se précisent les contextes dans lesquels doit s'opérer l'analyse des retombées de l'exploit du 18 novembre 2009 à Khartoum, et que nos perspectives d'action et nos espérances doivent s'établir. Et, derrière l'arbre d'une victoire, il y a, pour ainsi dire, l'immense forêt des problèmes à résoudre et des efforts immenses qui restent à accomplir. Il y a la réalité crue d'un système footballistique opaque et obsolète qui exclut tout progrès si les différents acteurs concernés, notamment au niveau des clubs, ne font rien, conjointement, solidairement et sérieusement pour l'améliorer. Dans cette perspective, l'exploit de Khartoum est d'autant plus appréciable que son impact psychologique et moral exceptionnel ne doit avoir d'égal que l'humilité à toute épreuve qu'il doit nous inspirer, si nous ne voulons pas donner de fausses illusions à notre jeunesse. Nous devons prendre garde à ce que l'euphorie de la victoire remportée au Soudan ne nous fasse pas oublier que dans la cour des grands où notre équipe a été propulsée grâce au talent de ses membres et de son encadrement, mais aussi grâce au soutien inconditionnel de leurs supporters et à l'accompagnement décisif du chef de l'Etat, le plus dur reste à accomplir. Nous devons rester d'autant plus modestes et déterminés, que les dures lois du sport font que chaque étape de l'escalade vers le sommet est fatalement plus exigeante que la précédente, en termes d'effort, de travail et de sacrifices. En bref, nous devons continuer à travailler dur, en bannissant tout scepticisme, en maintenant notre mobilisation et notre confiance à l'endroit des Verts et en continuant à les accompagner par tous les moyens, dans la sérénité qui sied à ces moments graves du parcours, pour d'autres victoires qui, à ces conditions, sont tout à fait possibles dans le futur, en Angola, en Afrique du Sud ou ailleurs. Nous devons également nous atteler à la mise en œuvre de la matrice des actions figurant dans le “Dossier football” décliné de la “Politique nationale du sport”, dès consolidation de ce dossier, afin de préparer, dans le calme et la concentration, l'avenir qui va bien au-delà de janvier et de juin 2010. Car, et comme le recommandent tous les footballeurs avertis, c'est dès aujourd'hui qu'il faut travailler aux CAN 2012 et 2014 ainsi qu'aux Coupe du monde 2014 et 2018 notamment.Avant de terminer, je ne me déroberai pas au devoir naturel de saisir l'occasion de l'avènement de la nouvelle année pour souhaiter aux membres de notre équipe nationale, à chacun de ses supporters, en Algérie et à l'étranger, ainsi qu'à toute la famille du sport algérien, santé, bonheur et toujours plus de succès. Au public sportif de Khartoum, à l'âme si élevée et à l'attitude si généreuse, qui a créé les meilleures conditions d'une compétition loyale entre les équipes concurrentes, tout en nous manifestant une hospitalité fraternelle qui le grandit et l'honore, je tiens aussi à adresser, au nom de l'ensemble des supporters de l'équipe nationale de football, nos sincères remerciements ainsi que nos meilleurs vœux de prospérité. H. D. (*) Ministre de la Jeunesse et des Sports