Voulant profiter de la situation, la franc-maçonnerie s'est adjointe au concert de félicitations et remerciements. Dans les deux lettres envoyées en septembre 1860, l'impression de récupération du geste de l'Emir, pour qu'il apparaisse comme émanant d'un prétendu idéal maçonnique, est vite donnée. Les francs-maçons ont vu dans le sauvetage des chrétiens, souligne Bruno Etienne, une œuvre maçonnique “drapeau de la tolérance face à l'étendard du Prophète”, alors que pour lui c'est une action essentiellement musulmane - pratique du horm : protection envers des dhimmis dans une enceinte sacrée : “Ainsi Abdelkader est qualifié de pourfendeur” des préjugés de caste et de religion “des” fureurs de la barbarie et du fanatisme” et de héraut “de la liberté de conscience” et du “sentiment de fraternité humaine”. À la suite de ces deux lettres, l'émir a demandé des éclaircissements au sujet de la Maçonnerie. Or, dans l'exposé doctrinal qui lui a été envoyé par le GODF, celui-ci le fait précédé d'une allusion “à l'initiation qui vous sera conférée” comme si le fait de demander des éclaircissements impliquait la volonté d'adhérer à la Maçonnerie. La proposition d'adhésion faite à Abd el-Kader n'était sans doute pas dénuée d'arrière-pensée, estime la même source : “Les francs-maçons pouvaient espérer qu'Abd el-Kader diffuserait leurs idées et contribuerait à leur implantation parmi les musulmans d'Orient.” L'orateur Dubroc de la loge Henri IV avait déclaré le 1er septembre 1864 : “Ce que nous avons en vue, dans l'initiation que nous consacrons aujourd'hui après en avoir poursuivi si longtemps l'accomplissement, c'est la Maçonnerie implantée en Orient dans le berceau de l'ignorance et du fanatisme ; c'est le drapeau de la tolérance remis entre des mains vénérées, confié à un bras qui a fait ses preuves, [...] sur les plus hautes mosquées face à l'étendard du Prophète. L'émir franc-maçon, c'est pour nous le coin entré dans le roc de la barbarie.” Ambiguë à ce propos, Bruno Etienne l'était à coup sûr. Surtout lorsqu'il faisait remarquer, sans pour autant être convaincu, que l'adhésion de l'Emir à la franc-maçonnerie reste fermement contestée par les Algériens – en particulier par les officiels qui insistent sur l'“opposition radicale” entre “la perspective doctrinale de l'Emir issue de la spiritualité islamique” et “la vision profane et laïque de la Maçonnerie”. A. M. [email protected]