Je m'ennuie ! La nuit tombe, les rideaux aussi, sur les rues et les ruelles de cette ville faite d'eau et des hauteurs. Rien sur rien. Silence. Les portes cadenassées ! Alger jeûne. Le jeûne imposé? Je m'ennuie ! Dans notre ville, dès que l'heure du coucher du soleil sonne, les gens commenceront à ronfler. Tout le monde boycotte la nuit. Orphelin, ce poète. Les milliers des SDF, eux aussi, femmes, hommes et enfants, jeunes et moins jeunes, se précipitent à la recherche d'un carton et fouillant les sacs noirs des poubelles éventrés. Je m'ennuie ! Je cherche la ville dans les rues. Seuls les silences ventent dans les ruelles. Notre capitale, celle qui, jadis, a séduit Camus et Marx, Picasso et Chawki Baghdadi, Guy de Maupassant et Mahmoud Darwich et d'autres, dort comme un patient d'un hôpital géré par des lois draconiennes. Il n'y a pas de villes sans nuit. Et je m'ennuie ! Notre Alger, au coucher du soleil, ferme ses portes. Alger n'a pas de portes, plutôt, elle a un port, une mer et un front de mer aveugle. Rien sur rien ! Et je m'ennuie ! À sept heures du soir, peut-être huit heures, Alger, ville séduisante, séductrice, ferme ses yeux. Se donne au sommeil. Elle rejoint son lit, enfant grondé par sa maman. Elle dort, tôt pour ne rien faire le lendemain. Celui ou celle qui dort tôt ne rêve pas ! Et je m'ennuie ! Il n'y a pas de villes sans rêves. Les bâtisseurs des villes construisent d'abord les rêves et ensuite élèvent les murs. Les villes qui dorment tard, ou qui ne dorment pas, se réveillent tôt. Jadis, Alger La Blanche dormait tard pour se réveiller tôt. Ainsi est conçue la logique des villes, les vraies villes qui marchent, celles qui avancent vers les lumières des matins. Des vieillards tristes, nostalgiques au beau temps algérois révolu, assis aux pieds des bâtiments fatigués, se racontent la mémoire des nuits algéroises : “Il y avait des salles de cinéma.” “Du parfum.” “Des couples amoureux pleuraient face à un film romantique.” “Jadis, il y avait des placeuses, des jeunes femmes dont le corps et la langue parfumés chuchotaient dans le noir de la salle.” Et je m'ennuie ! dès que la nuit tombe sur Alger. Les nuits d'Alger sont précoces, aveugles et longues. Je ne sais pas pourquoi, dès que je médite sur Alger, je l'imagine comme ça : une belle femme blessée, allongée sur un lit, plongée dans une profonde tristesse d'hôpital. Quand, jadis, Alger dormait tard pour se réveiller tôt, elle avait son opéra. Et son opéra avait ses spectacles culturels. Il y avait Bachtarzi, Allalou et les autres… Azeddine Al Madani de Tunis et Tayeb Saddiki du Maroc témoignent : “Dans les années soixante-dix, Alger fut, par son Centre national de dramaturgie de Bordj El Kifan, la capitale maghrébine du théâtre et lieu du rendez-vous de tous les faiseurs du quatrième art.” Alger, dans son beau temps révolu, dormait tard pour se réveiller tôt. Elle avait ses cafés aromatisés, ses terrasses propres, ses débats et ses délices. Ses chardonnays. Salut Jean Sénac et Djamel Eddine Bencheikh ! Je m'ennuie ! Qu'Allah vous bénisse ya Guerouabi. Je m'ennuie ! Salut les amis Meskoud, Réda Doumaz et Djamel Amrani. Salut l'artiste Noreddine Saoudi. Egaré entre le roman et la fascination de l'enfance de l'histoire. Quand, jadis, Alger fermait très tard ses gracieux cils afin de les ouvrir très tôt le lendemain, elle ne vivait pas la culture rapiécée. Une culture funéraire façonnée pour “tuer le temps”. Pour se tuer. La culture est l'hymne de la vie. Bonjour Ali Ali-Khodja, garçon de quatre-vingt ans, suspendu dans l'oubli de son atelier, entre le ciel et les étoiles filantes. Je m'ennuie ! Les volets pleurent. Et la nuit tombe à midi, sur Alger ! A. Z. [email protected]