“Le bétonnage des villes laisse très peu d'espaces verts.” Le bétonnage va de pair avec l'étalement des villes, il nuit à l'environnement, empêche l'infiltration naturelle des eaux, empiètes sur les terres cultivables, altère la qualité spatiale et requiert un prélèvement continuel des ressources. Jusqu'à quand cela sera-t-il encore possible ? Après les transports verts, Tahar Baouni, ingénieur, enseignant et chercheur à l'Ecole nationale d'architecture d'Alger (Ansa) aborde cette fois cette question épineuse. Liberté : Parler d'environnement alors que l'urbanisation atteint le summum de sa progression de par le monde peut sembler contradictoire : consommation de carburant avec un taux de particules alarmant et étalement urbain (construction de grands ensembles) qu'en dites-vous ? Tahar Baouni : Evidemment, l'urbanisation rapide des villes a une large responsabilité dans la dégradation de l'environnement marquée par la consommation de plus en plus importante des ressources naturelles telles que le foncier, l'eau... D'autre part, les rejets en provenance des zones d'habitat et d'activités (effluents liquides et déchets solides) polluent les milieux (air, eau et sol). Nos villes sont aujourd'hui confrontées au phénomène de l'étalement urbain et de la fragmentation urbaine. Le développement et la multiplication des zones périphériques, l'extension des zones d'activités, la recherche d'assiettes foncières pour des programmes d'urgence en dehors de la ville nous conduisent vers une ville dispersée consommatrice de sol et génératrice de flux de déplacements. Ceci génère de nombreuses nuisances telles que consommations d'énergie et d'espace, pollution atmosphérique, bruit, sécurité routière, inégalités sociales, etc. En somme, si je reviens au fond de votre question, il y a lieu de noter que les villes du monde étaient le théâtre de plusieurs politiques urbaines notamment des pays en développement à travers le temps, caractérisées par des retombées néfastes sur l'environnement. Aujourd'hui, la maîtrise de l'étalement urbain est une condition nécessaire de la durabilité des villes et un défi pour les collectivités publiques. Cet objectif pourrait être atteint par la mise en place d'un réel projet urbain durable pour nos villes. Rapportons-nous au modèle algérien. Pourquoi, selon vous, sommes-nous en perpétuel anachronisme avec le “factuel”: les plans d'urbanisme ignorent littéralement la dimension spatio-temporelle (on continue à construire en faisant abstraction des nouvelles donnes socio-économiques mondiales, d'une part, et des préoccupations environnementales, de l'autre) ? D'abord, je souligne qu'en matière d'aménagement et de planification spatiale, nous disposons d'un arsenal de textes réglementaires (loi, décrets). La loi relative à l'aménagement et l'urbanisme définit les plans d'aménagement et d'urbanisme comme des instruments de planification à long terme. L'examen de la démarche conceptuelle de ces instruments nous amène à constater que l'élaboration des plans d'urbanisme mette en évidence le modèle projectif qui a évidemment ses limites. Souvent, les orientations des instruments d'urbanisme sont bouleversées par des conjonctures socioéconomiques et l'on constate un grand décalage entre la réalité sur le terrain et les orientations des plans d'urbanisme qui par voie de conséquence deviennent caducs. Tout compte fait, ces documents occultent la dimension environnementale dans leur démarche conceptuelle et je pense qu'il est temps de revoir la démarche globale d'élaboration des plans d'aménagement et d'urbanisme pour nos villes. En tant qu'ingénieur que pensez-vous du bâtiment ? Pas de matériaux innovants sinon dans le traitement des façades sans plus, le bâtiment intelligent (?), la haute qualité environnementale (HQE) comment les perçoit-on en Algérie? Avant de parler de la haute qualité environnementale (HQE), faisons un bref constat d'abord sur la qualité du bâti produit pour ne pas dire qualité architecturale car je ne suis pas habilité à me prononcer sur ce sujet. Honnêtement, le cadre bâti produit de nos jours laisse à désirer, l'on constate que dans plusieurs cas le bâtiment produit ne s'inscrit pas dans son environnement et il reste beaucoup à faire dans la maîtrise des techniques constructives, notamment les ambiances énergétiques, acoustiques et écologiques, je pense que nous sommes loin encore pour parler de bâtiment intelligent. D'abord la haute qualité environnementale est un concept récent basé sur une démarche volontaire de management et qui s'inscrit dans une perspective de développement durable. Donc, parler de la haute qualité environnementale, c'est faire appel à ces techniques (matériaux innovants, énergies renouvelables, etc.). En Algérie, la recherche académique s'intéresse à cette thématique depuis quelques années, l'initiative prise par le Cnerib à travers son projet pilote (maison HQE) est très encourageante et je souhaiterais que les pouvoirs publics passent dès maintenant à la concrétisation de ce type de projet sur tout le territoire national. Que devrait faire la tutelle et incombe-t-il au seul département de l'urbanisme de changer les choses ? Non, la tutelle n'est pas le seul responsable, tous les acteurs concernés par la question doivent être impliqués. À mon avis, développer et réussir une stratégie dans n'importe quel domaine implique nécessairement la participation et la concertation de tous les acteurs.