Alors que le ministre de l'Intérieur a annoncé, hier, l'interdiction de la marche du FLN dans la capitale, le frère du Président a pris les devants à Aïn Defla en incitant des repris de justice à venir prêter main forte aux anti-Benflis. Enquête à Aïn Defla. Le frère du Président manipule pour “casser du FLN”. Témoignage d'un jeune de Aïn Defla écœuré par le niveau politique de nos dirigeants. Kamel est chômeur. Il a juste 22 ans. Quand on a cet âge dans une ville comme Aïn Defla, il n'y a que les illusions pour vivre. Dans cet océan d'ennuis, où tout est figé, la visite du président de la République est un événement hors du commun. Cela permet de sortir la ville de sa torpeur habituelle. C'est pour cela que Kamel n'entendait pas rater le déplacement de Abdelaziz Bouteflika. Cela servirait, au moins, à faire une moisson d'anecdotes pour tenter de pimenter quelque peu les conversations quotidiennes entre amis. Et puis, l'occasion est si rare qu'il s'était mis en tête d'aller voir de près “ces gens qui nous gouvernent”. Le voici donc, en ce dimanche après-midi, au milieu de la foule, jouant des coudes pour se rapprocher de cette classe de dirigeants. Il est 16h30 lorsque le Président arrive pour poser la pierre inaugurale d'une Maison de la culture. Peu captivé par les cérémonies officielles, Kamel observe ce qui se passe autour. C'est alors qu'il aperçoit le duo des Saïd Bouteflika et Saïd Barkat, le ministre de l'Agriculture, se diriger vers un groupe de trois personnes qu'ils entraînent à l'écart, cachés par les véhicules du cortège présidentiel. Sans se laisser trahir, Kamel s'intègre au groupe en se présentant comme membre d'un comité de soutien au président Bouteflika, lorsqu'un des gardes du corps de Saïd Bouteflika l'interpelle. D'emblée, le petit groupe se plaint d'avoir été écarté des comités de soutien et de ne pas avoir été autorisé à se rendre à la wilaya pour faire partie des privilégiés affectés à l'accueil de Bouteflika. Le frère du Président leur raconte alors les deux jours passés à Aïn Defla avant l'arrivée du président. Au menu, des réunions avec le président d'APC (FLN) et avec le responsable des comités de soutien au domicile du maire. Il leur a annoncé avoir désigné un dénommé Bouchemla comme responsable dans cette wilaya. Saïd Bouteflika leur tend des cartes de visite avec numéros de fax et de téléphone. “Contactez-moi pour tenir une réunion à Alger.” Intervient ensuite Saïd Barkat. Le ton change. Il est carrément agressif. Le ministre de l'Agriculture reproche à ses interlocuteurs la passivité de la wilaya de Aïn Defla dans les assauts contre les kasmas et la mouhafadha du FLN. “Pourquoi n'avez-vous pas fait comme dans les autres wilayas.” La réponse est hésitante. “On n'a pas les moyens.” Puis plus nette : “C'est à cause du wali, du chef de daïra et du chef de sûreté qui ne veulent pas de problèmes ici. Ils ont peur d'avoir à gérer d'éventuels conflits.” Le ministre se fait alors moins agressif. Pour ne pas accuser ses interlocuteurs de lâcheté, il leur promet la protection le jour où il faudra passer à l'action. “Ce jour-là, tout sera mis au point à Alger. Je vais contacter Zerhouni pour vous protéger par tous les moyens. Il va ordonner à ses troupes de ne pas intervenir”, promet-il. Mais Barkat n'oublie pas l'échéance du 14 août. Le rendez-vous promis par le FLN de Benflis pour manifester à Alger, à Constantine et à Oran. “Il faut mobiliser tout le monde pour venir à Alger. Débrouillez-vous, il faut venir nombreux à Alger. On va libérer notre parti”, recommande-t-il. Saïd Bouteflika fustige au passage Abdelkader Zidouk, un membre du comité central du FLN à qui il reproche d'avoir préservé le parti des manœuvres du clan présidentiel. “Ne lui faites pas confiance, c'est lui qui empêche les gens de se rapprocher de nos comités de soutien”, lâche le frère du Président. La discussion se termine. Kamel se met à l'écart et laisse partir les trois autres. Il les voit monter dans une Peugeot 406 de la présidence de la République déployant une banderole qui proclame “la base militante du FLN est avec Bouteflika” et “pour la candidature de Bouteflika”. La banderole restera déployée durant toute la visite. Les trois bonhommes connaissaient parfaitement l'itinéraire du cortège présidentiel. Au FLN, on semble connaître les trois serviteurs. “Ce sont des repris de justice qui viennent d'être recrutés pour la cause”, assure-t-on. Quant à Kamel, il a dit adieu à ses illusions de voir un jour l'Algérie dirigée comme une vraie République. “Je suis écœuré par ce que je viens de voir.” Il ne s'est pas privé d'aller conter au FLN sa si instructive aventure. R. B.