Larbi Belkheir s'est éteint. Sa mort, comme sa vie, est entourée de mystères, de spéculations et de jeux d'ombre à la mesure d'un personnage que n'aurait pas renié Machiavel ou Talleyrand. Rares sont ceux qui ont vu Larbi Belkheir livide. Mis à part à la fin de sa vie quand une maladie rare l'a cloué sur une chaise roulante. Pourtant, en cette soirée de décembre 1991, son visage allongé trahissait une inquiétude profonde. Quand il entra dans la salle Ibn-Khaldoun pour annoncer la victoire du FIS aux législatives de 1991, il donnait l'impression qu'il allait dire aux Algériens qui devait aller en enfer et qui au Paradis. Belkheir était une “chauve-souris”. Il avait horreur des lumières et de l'exercice médiatique imposé. Sa silhouette massive a hanté durant 20 ans les couloirs de la présidence de la République. À El-Mouradia, il avait “régné” en maître absolu de la décision. Qualifié de “faiseur de roi”, il a été le fossoyeur de plusieurs carrières politiques ou, à l'origine, celui qui en créa d'autres. Retracer la vie de Larbi Belkheir, c'est comme se perdre dans les dédales de La Casbah. Rues qui mènent nulle part, maisons à plusieurs entrées, fausses arcades et impasses font de la vie de Belkheir un labyrinthe de rumeurs et de vérités jamais vérifiées. Le paradoxe est que Belkheir, à force de cultiver le genre, celui d'un marionnettiste habile mais détesté, a fini par se confondre à son image. Le premier paradoxe est que Belkheir est un militaire qui n'a jamais été aussi crédible que lorsqu'il a été un civil. Son parcours militaire est jonché de promotions et de compromis qui lui ont fait traverser la carrière sans un grand dommage. C'est à l'Enita qu'il dirigeait qu'on dit que la succession de Boumediene avait été décidée. Depuis, il se retrouve propulsé dans le cabinet de Chadli Bendjedid, afin de “veiller” sur ce général qu'on décrit comme trop trivial pour assumer la fonction suprême. La légende commence. Belkheir n'est pas qu'un simple chef de cabinet. Il est l'interlocuteur de l'ANP, la courroie de transmission du Président quand il n'est pas son modérateur. Sa proximité avec Paris qui soutient le régime Bendjedid en fait un homme de réseaux. Un mot qui va lui coller à la peau. Comme celui de DAF (déserteur de l'armée française). Appellation qui rythme les conversations claniques au sein du sérail. Réseautages de tout genre. Politiques, technocratiques, militaires, économiques et même tribaux. Pour ce fils d'un chef de zaouia à Frenda, le pouvoir trouve sa source dans les racines. Ceux des zaouias et des bénédictions négociées avec les chefs tribaux et religieux. On gouverne à Alger mais on rayonne dans l'Algérie profonde. Belkheir malgré son goût pour l'élégance vestimentaire n'a pas perdu le fil de la terre. Son influence est d'abord celle d'un interlocuteur à l'écoute de la base. Il sent mieux que quiconque les changements de cap, les disgrâces annoncées et les pertes d'autorité. Il est l'homme par qui les complots arrivent. On appelle cela, pudiquement, la raison d'Etat. C'est lui qui conseille à Bendjedid de modérer ses ardeurs après 1988. Belkheir a une oreille à l'état-major de l'armée et l'autre dans les salons luxueux d'El-Mouradia. Il accepte de s'afficher afin de donner corps au refus de l'armée de cautionner la cohabitation programmée par le clan Bendjedid avec le FIS. Il fera partie prenante des “Janviéristes”. Ces décideurs qui ont mis le holà à la dégénérescence de l'Etat. Intervient l'épisode Mohamed Boudiaf. Un choix qu'il aura à assumer jusqu'à la mort du Président tué par des balles dans le dos. Le mot “complot” revient. Celui de Belkheir aussi. Cette affaire lui fait mal quand il est accusé par la famille d'être le commanditaire de l'assassinat. Il est devenu trop visible, trop décrié pour pouvoir supporter les critiques. Il jette l'éponge en 1994 avec l'arrivée du clan Zeroual qui lui voue une haine non dissimulée. Ceux qui voyaient en lui “le parrain” du système sont convaincus qu'il ne rebondira pas. Son “exil” en Suisse durera 5 ans. C'est alors que survient le phénomène Bouteflika. Les jours de Zeroual sont comptés et c'est Belkheir, encore une fois, qui est chargé de faire le service après-vente. Paris, Washington, Genève, Londres ou Riyad, Belkheir se démène avec ses réseaux extérieurs pour faire admettre un changement structurel du régime. Les militaires sollicitent son carnet d'adresses et ses contacts de haut niveau. Il faut rassurer et expliquer. Belkheir fera un travail remarquable qui allait pourtant sonner le glas de sa carrière politique. Car le retour à la case “présidence” se fera dans un bureau qu'il connaît bien. Celui de chef de cabinet… noir pour ses détracteurs. Mais cette fois-ci, le locataire n'est pas Bendjedid et se méfie de l'aura et de l'hégémonie politique de son propre relais. L'ancien MAE, Bouteflika ne se laissera pas compter et les rapports des deux hommes sont exécrables. C'est un secret de Polichinelle. L'atmosphère entre Belkheir et Bouteflika n'est pas au beau-fixe. La rupture est consommée. Belkheir est alors “affecté” au poste d'ambassadeur d'Algérie à Rabat en 2005 mais met près de six mois à se rendre au Maroc. Histoire de signifier qu'il ne veut pas de ce poste qui l'éloigne du cœur du système qu'il a façonné en grande partie. Mais au-delà de ces péripéties politiques, l'homme ne semble pas vouloir se battre. La mort de son frère lors du séisme de 2003 l'affecte profondément. Celle de son fils va l'accabler. La politique devient dérisoire. C'est le début de la fin et des fausses annonces d'incessants retours. On croit le voir à Paris, Genève ou New York mais rarement à Rabat. On le voit à Alger, mais rarement en public. Seuls les hommes de son réseau qu'on appelle les “Belkheir boys” sont dans la confidence quand ils ne sont pas eux-mêmes, mis hors-jeu ou récupérés par d'autres sphères qui voient dans la “disparation” politique de Belkheir, une aubaine. À la Présidence, autre paradoxe, comme dans l'opposition qui perd un interlocuteur privilégié, certains regrettent son rôle discret de “stabilisateur” si ce n'est de “régulateur”. Face à la maladie, il luttera jusqu'au bout. Belkheir est mort. Le Cardinal lui survivra. Bio-Express L'ambassadeur d'Algérie au Maroc, Larbi Belkheir, qui s'est éteint jeudi à l'âge de 72 ans des suites de maladie, est né le 1er janvier 1938 à Frenda (wilaya de Tiaret). Durant la guerre de Libération, le défunt, affecté à l'instruction au sein de l'ALN, a commandé le 45e bataillon dans la zone sud. Après l'indépendance, il a occupé le poste de chef d'état-major à Ouargla et celui de la IIe Région militaire, avant d'être nommé, en 1975, commandant de l'Ecole des ingénieurs et techniciens d'Algérie (Enita). Larbi Belkheir a occupé, entre 1980 et 1982, le poste de secrétaire permanent du Haut conseil de sécurité avec le rang de conseiller à la présidence de la République. Le défunt a été nommé, par la suite, directeur de cabinet du président Chadli Bendjedid (1986-1989), puis secrétaire général de la présidence de la République. En 1991, il intègre le gouvernement pour occuper le poste de ministre de l'Intérieur et des Collectivités locales. En 2000, le défunt devient directeur de cabinet du président de la République, M. Abdelaziz Bouteflika, avant d'être désigné, en 2005, ambassadeur au Maroc.