Lorsque j'ai rencontré Abdelkader Secteur, il y a un peu moins de deux ans, il venait de faire un triomphe avec son spectacle à la salle Aïssa-Messaoudi de la Radio algérienne sur invitation de son ancien directeur Azzedine Mihoubi, qui déclarait volontiers être client de son humour populaire et foncièrement algérien. En effet, ce quadragénaire aux cheveux grisonnants,“de famille”, est un fin chroniqueur du quotidien, doublé d'une acuité de sociologue pour dénicher nos absurdités, qu'il sait rendre, sans trop en rajouter, hilarantes et donc touchantes. À mon grand étonnement, ce virtuose du rire n'avait pas encore eu d'interview, sauf un passage à la radio de l'Ouest, me dit-il, car mis à part cette représentation dans le temple du média lourd algérien, son statut d'artiste “YouTube” ne suffisait probablement pas à lui donner le cachet d'artiste “officiel”. Il était alors partant, un tantinet demandeur du jeu des questions-réponses, bien qu'on ait eu à le faire sur un banc humide à cause d'un garde qui n'appréciait pas qu'on s'attarde sur la terrasse de la salle. Mardi soir, quand je l'ai rencontré, entouré, cette fois, de son frère et du manager de Kos Production, les choses ont changé. On est dans le luxueux hôtel Hilton d'Alger, la moustache s'est affinée, le trois quart chic n'a plus rien à voir avec le costume léger dont il retroussait les manches dans ses spectacles et il ne se déplace plus sans avoir son téléphone tactile à portée de main. Pourtant, la dégaine n'a pas changé, certes un peu plus sûr de lui, mais toujours très avenant, aimable et surtout souriant. Secteur finit par se rappeler cet entretien, un an et demi dans sa nouvelle vie, c'est énorme. Il raconte qu'après ce passage à la radio, les choses n'ont pas décollé comme il le croyait. “J'avais un peu perdu l'espoir de trouver les personnes qui m'aideraient vraiment à introduire ce milieu, une main forte, un Boukhars, par exemple”, regrette-t-il encore. Et c'est en février 2009 que tout bascula pour lui. “Quand il m'a vu, il a dit dans son téléphone, le voilà, il est en face de nous”, “ces personnes me cherchaient depuis cinq jours à Ghazaouet, ils m'ont dit qu'il y avait un grand artiste en France (il n'ont pas voulu me donner le nom) qui a vu un de mes CD et il est tombé par terre de rire”, Abdelkader ne comprend pas, soupçonne un canular, un Français qui rit à ses blagues, ce n'est pas possible, à moins qu'il ne comprenne parfaitement l'arabe ! À ce moment-là, on lui annonce que c'est “Jamel Debbouze ; depuis une semaine, il ne fait que regarder tes vidéos sur Youtube, et dès qu'on rentre dans son bureau, il nous demande chaque fois quand est-ce que vous me ramenez Abdelkader ? Il ne te cherche pas pour un seul spectacle, il te cherche pour travailler avec toi”. Abdelkader Secteur accepte sans hésitation, il avait déjà son visa, “hamdoulah”. “La salle du Comedy Club est en plein centre de Paris, mon ami ! J'avais peur”, mais il n'a fallu qu'une seule scène pour que Jamel lui propose de travailler avec lui. “Ils ont filmé les deux spectacles que j'avais faits en mars, puis je suis revenu en Algérie. Le 10 mai, je remonte à Paris, ils m'avaient préparé une sorte de guide, ils avaient retravaillé mon spectacle. Le metteur en scène, Mohamed Hamidi, me donnait des conseils et m'enlevait les passages trop longs. D'ailleurs c'est lui qui m'avait fait découvrir à Jamel Debbouze, il est de Nedroma, ma région, nos familles se connaissent. Le 16 mai, j'ai commencé officiellement mon spectacle, tous les samedi, à guichets fermés !” Secteur est fier de raconter que sur la radio Beur FM, Jamel avait dit à l'animateur, qui s'étonnait qu'il ramène un comique d'Algérie, que lui-même s'inspirait de moi. “Même dans le film qu'il a tourné (Hors la loi, la suite d'Indigènes, de Rachid Bouchareb), il demande que je sois avec lui.” C'est ainsi qu'Abdelkader Secteur se retrouve à jouer un rôle-clé dans cette suite. “J'y joue l'ami de Jamel qui l'accueille après son service en France, pour lui montrer les ficelles, le rendre plus débrouillard et rejla.” Pour un premier tournage, je m'étonne qu'il en parle avec autant de naturel, mais Secteur me rappelle qu'il n'a aucune peur de la caméra, il était habitué depuis le temps où il se faisait filmer dans les mariages, mais il avoue que dans ce tournage en Tunisie, il a eu une autre crainte : “J'ai eu peur de parler le français d'un Français et peut-être que je serai nul, mais le rôle n'en demandait pas tant, au contraire, pour sa crédibilité, il fallait que je parle en arabe avec quelques mots français, mais le plus que j'avais est que le réalisateur Bouchareb est de Maghnia, donc j'étais vraiment à l'aise, et il semblait satisfait.” La question de la langue lui est souvent posée en le comparant à Fellag, mais pour lui, c'est tout choisi. “Même à Jamel qui me demande de mettre plus de français dans mes spectacles, je dis d'accord, je fais comme tu veux, mais je ne dépasse pas 30% à 35% de français, parce que si je le fais à 100% en français, je perdrai le public qui m'a lancé, et ça jamais !” Quand on lui demande s'il est prêt à refaire un spectacle dans un mariage, il dit qu'il le ferait avec plaisir. “C'est grâce à des gens pas riches du tout, ajoute-t-il, qui ne pouvaient même pas se payer un Dj à 10 000 Da, que j'ai commencé à faire mes sketchs pour seulement 2 000 Da.” Et ce n'est pas le seul principe auquel s'attache notre humoriste, qui veut rester un sérieux père de famille. Trois filles déjà, dont une qui n'a que trois mois : “Elle est née alors que j'étais en tournage en Tunisie.” D'ailleurs, avec Jamel, il s'est entendu de venir en Algérie au moins tous les quinze jours. Il veut s'acheter une plus grande maison ici et ne pense pas encore ramener sa famille en France, car il a “peur pour ses filles, ce n'est pas la même mentalité… Je suis touché de voir ma petite fille de six ans étaler mon tapis de prière, même si ce n'est pas la bonne direction, alors qu'une adolescente en France peut sans gêne refuser de débarrasser la table quand son père le lui demande”. En cherchant une photo à nous donner, Abdelkader parcourt du doigt son téléphone — “une technologie obligatoire” —, il passe des centaines de clichés de sa famille avant de tomber sur une de lui et nous confie que ses filles “ne cessent de compter les jours avant ses retours à la maison”, ce qui est aussi le cas de son public quand il le voit sur scène et qui ne cesse de faire la même chose, encore, Abdelkader Secteur !