Un système politique qui ne sait plus faire respecter les valeurs morales et sociales qui ont pétri l'histoire du pays ne se condamne-t-il pas à disparaître, comme un arbre coupé de ses racines ? Après avoir fait du sacrifice des martyrs de la guerre de Libération une source de légitimité pour diriger le pays, le Pouvoir semble, aujourd'hui, incapable de défendre les symboles de la Révolution et les valeurs qui ont façonné l'Histoire de l'Algérie. Le mois de novembre de l'année écoulée, a, en effet, été marqué par les atteintes des Egyptiens à notre drapeau national qu'ils ont brûlé et à la mémoire de nos martyrs et de nos ancêtres, qu'ils ont insultée, et ce, à l'occasion du match de Coupe du monde de football opposant les équipes des deux pays. Le silence observé par les autorités, même s'il était calculé et que le but recherché était l'apaisement, il ne sied pas dans de telles circonstances de ne pas réagir, étant donné que ces actes n'étaient pas le fait de simples hooligans, mais de responsables à différents niveaux de la société égyptienne. Sans déterrer la hache de guerre, une protestation officielle, énergique, s'imposait néanmoins. Pour moins que cela, des pays ont rompu leurs relations diplomatiques ! Combien de fois du reste le drapeau national a-t-il été exhibé dans un piteux état, sur les frontons de certaines administrations, et combien de fois il a été utilisé dans des placards publicitaires par certaines sociétés sans que ces mêmes autorités interviennent. Le mois de novembre dernier a été également marqué par les aveux faits par notre héroïne nationale, Djamila Bouhired, sur les difficultés matérielles qu'elle vit, une situation qui ne lui permet pas de faire face à des soins lourds, et les tentatives de l'humilier et ce, au moment où de nombreux autres anciens moudjahidine au sein ou proches du sérail, réalisent de juteuses affaires. D'autres femmes, des anonymes, des veuves ou des filles de chahid, vivent également dans la difficulté et sont humiliées et expulsées de leur logement pour se retrouver dans la rue en plein hiver, comme cela a été rapporté par la presse en ce début de mois de février ! Au moment où des députés du parti FLN veulent déposer à l'Assemblée populaire nationale un projet de loi de criminalisation du colonialisme. Mais préserver la mémoire des martyrs de la guerre de Libération, n'est-ce pas surtout réaliser et défendre les objectifs de liberté et de justice pour lesquels ils ont fait le sacrifice ultime ? Si le système politique algérien, qui a fait des principes de Novembre 1954 un des fondements — dont il a toujours tiré gloire et profit — ne sait plus en protéger les symboles, qu'il les marchande au gré de la conjoncture, cela signifie que ce système se condamne lui-même à la disparition. C'est comme s'il coupait la branche sur laquelle il est assis. Mais le respect de ces principes qui ont toujours constitué un des référents communs aux Algériens n'est, malheureusement, pas la seule valeur à subir une corrosion dans la société de nos jours et à être livrée aux marchandages. Ainsi, l'amour du travail, du savoir, de la justice, le respect de la dignité humaine, la tolérance, le respect d'autrui et de la collectivité, l'entraide, ou encore les qualités comme l'honnêteté, la modestie, la bravoure, ont été remplacés par des comportements contraires à nos traditions, notre religion et à la civilisation universelle. Tout se passe comme si le système mis en place depuis la période Chadli Bendjedid dans les années 1980, dominé par les couches de la bourgeoisie compradore et bureaucratique, basé sur l'économie de bazar, — une sorte de sous-libéralisme dominé par le commerce informel, le gain facile, la corruption —, a donné naissance à de nouvelles mentalités, engendrées par une éducation et une culture (même religieuse) au rabais, de type néo-colonial, privant de repères les générations 1990- 2000 qui sont ainsi socialement et psychologiquement déstructurées (terrorisme, harga, chômage, drogue, suicide). Toutes les activités sont devenues mercantiles et toutes les institutions relevant du domaine public sont devenues des lieux où le népotisme règne en maître et où glisser un bakchich est devenu monnaie courante (école, université, hôpital, banque, entreprise, administration etc.). Dans une société où des diplômes de médecine ou de droit sont vendus à des “trafiquants” qui n'ont d'étudiants que le nom, c'est qu'il y a péril en la demeure car c'est le signe d'un système malade qui met en danger toute la société ! Au moment où de grands scandales financiers éclatent au grand jour, comme celui de Sonatrach, des ministres n'hésitent pas à justifier de tels crimes en affirmant que la corruption existe dans tous les pays et de tout temps. En Algérie en tout cas, on se souvient de ces moussebeline de l'OCFLN qui transportaient des sommes colossales d'argent, qu'ils cachaient sous leur manteau, destinées aux besoins de la lutte de Libération sans jamais y toucher alors qu'ils étaient souvent dans le besoin et parfois dans le dénuement. Leur probité et leur patriotisme les prémunissaient contre de tels actes. Certes, cette époque aussi a eu ses traîtres, comme ceux qui ont détourné l'argent du FLN, mais ils étaient très rares. Il en était de même durant les années 1960-1970, où des cadres de grande valeur ont eu à gérer des entreprises importantes sans jamais verser dans les malversations, ceux qui le faisaient se comptaient sur les doigts d'une seule main. Le phénomène a enregistré une hausse dans les années 1980-1990 avant de se généraliser dans les années 2000. Ainsi, ce qui était une exception est devenu la règle et les dirigeants honnêtes se comptent sur les doigts d'une seule main et ils étaient même devenus la panacée et la risée de ceux qui ont “fait leur beurre”, leur reprochant leur honnêteté comme une tare ! C'est le système économique, politique, social et culturel qui a été mis en place, depuis la période Chadli, et qui s'est accentué dans la période Bouteflika, qui a favorisé ce renversement de valeurs et causé la hausse de ce phénomène. Les valeurs morales ont été vidées de leur signification et altérées par l'appât du gain facile devenu le leitmotiv pour réussir. Au lieu et place d'une véritable économie de marché, laquelle va de pair avec la démocratie libérale qui a ses principes et fondements moraux, on nous a servi une sorte de sous-libéralisme sans foi ni loi qui nous a appauvris sur tous les plans, tout comme si en tant que sous-développés, on ne peut mériter mieux. L'absence de démocratie et de transparence, l'absence de justice, l'usage généralisé de la méthode de cooptation dans la désignation des responsables à tous les niveaux où les relations personnelles et tribales ont pris le dessus sur les critères de compétence et sur les qualités morales intrinsèques, ont poussé à l'exil, à la dépression, des milliers de cadres honnêtes et compétents rongés par le stress et désorientés par une société dans laquelle ils ne se reconnaissent plus. Quand à la place d'un Etat de droit promis depuis de longues années et que l'on se retrouve face à un Etat rentier, prédateur, il faut vite changer de système, c'est une question de survie ! Mais ce changement doit être pacifique car les Algériens ont subi trop de souffrances et leur sang a trop coulé. H. A-K. *Journaliste