Les professionnels de la santé souhaitent la promulgation d'une loi permettant l'interruption volontaire de la grossesse avant la fin du troisième trimestre, afin d'éviter la naissance de bébés porteurs de malformations congénitales ou de maladies génétiques incurables. Le débat a été engagé, encore une fois, lors d'une journée dédiée aux myopathies, des atteintes neuromusculaires fortement dégénératives. La salle de conférences de la maison de la Culture Malek-Haddad a connu, samedi dernier à l'occasion d'un séminaire de clôture du projet FICR et la création du réseau des associations de lutte contre les myopathies organisé par l'Adem (Association défi et espoir contre les myopathies), une grande affluence de praticiens de la santé, de membres du mouvement associatif, mais aussi de nombreux patients, dont des enfants et leurs parents. La rencontre a permis de faire une halte sur une maladie génétique, se traduisant par une dégénérescence progressive des muscles et conduisant, au bout de quelques années, à l'invalidité motrice puis à l'insuffisance respiratoire. Jusqu'alors, cette pathologie est classée dans la catégorie des maladies contre lesquelles aucun remède n'a été découvert. “Comme il n'existe pas de traitement curatif, nous nous limitons au traitement symptomatique”, regrette le Pr Abdelmadjid Hamri, chef de service neurologie au CHU Ibn Badis de Constantine. Il met alors en exergue les difficultés liées à la prise en charge des complications cardiaques et respiratoires dont souffrent, inexorablement, à certains stades de la maladie, les myopathes. “La meilleur solution est de créer un centre spécialisé. Les hommes et les moyens existent. Il suffit d'avoir la structure”, lance-t-il comme un appel en direction du P/APC de Constantine et d'un membre de l'APW, présents dans la salle. Au-delà, le professeur Hamri insiste sur l'impératif de la prévention. Il recommande, de ce fait, la limitation, autant que possible, des mariages consanguins et de privilégier le dépistage prénatal. “Le laboratoire de biochimie du CHU de Constantine est outillé pour procéder à la recherche génétique dans le liquide amniotique. Les médecins devront alors préconiser l'avortement, si la maladie est dépistée”, avance-t-il. Il n'en demeure pas moins qu'il reconnaît que l'opération est réalisable en théorie, mais pas dans la pratique, du fait de l'absence de lois autorisant les interruptions volontaires de grossesses quand des anomalies génétiques sont détectées chez le fœtus. “La société est-elle prête à franchir ce cap ? La charia rendra-t-elle licite l'acte ? Il faudra d'abord transcender ces obstacles avant d'aller vers la législation”, soutient le Pr Hamri. Pour l'heure, uniquement les avortements thérapeutiques sont légaux en Algérie, c'est-à-dire quand il est avéré que la grossesse met en danger la vie de la femme. Les professionnels de la santé œuvrent, néanmoins, à l'élargir à d'autres raisons médicales, dont la naissance de bébés polymalformés (le spina-bifida, par exemple) ou porteurs de maladies génétiques incurables. D'autant que dans le cas des myopathies, l'espérance de vie des personnes qui en sont atteintes va rarement au-delà de la quarantaine. De surcroît, un seul couple peut donner la vie à plusieurs enfants myopathes,c'est à dire autant de gosses en situation de handicap que les parents ont la difficile tâche d'accomplir les gestes de nursing et la lourde responsabilité d'assurer leur scolarité et leur développement dans une société et des villes hostiles aux personnes sur fauteuil roulant (inaccessibilité, difficultés d'insertion sociale, prise en charge médicale défaillante, déficit en centres spécialisés de rééducation fonctionnelle… ). Mme Ouarda Pagès, assistante sociale et consultante pour le projet Fonds d'initiatives collectives de rencontres (FICR), cofinancé par handicap international et le Programme concerté pluriacteurs Algérie (PCPA) et piloté par l'Association française contre les myopathies et deux associations homologues algériennes (Adem Constantine et ALCM Sétif), expose une série de contraintes et d'entraves auxquelles sont confrontées, en permanence, les proches des personnes souffrant de maladies neuromusculaires, dont les myopathies. Elle se réfère, à ce titre, aux témoignages recueillis auprès des concernés. Elle parle d'abord de leur errance avant l'établissement du bon diagnostic. “Les familles sont ballottées d'un médecin à un autre avant d'avoir un diagnostic clair. Souvent les médecins manquent de tact en annonçant brutalement la maladie”, rapporte-t-elle. Dans certaines wilayas, à l'instar de Béjaïa, les établissements hospitaliers publics ne possèdent pas de services de neurologie. Ce qui astreint les malades à consulter chez le privé ou bien à se déplacer dans d'autres villes. Pr Hamri suggère une campagne de sensibilisation en direction des neurologues privés installés dans ces régions afin qu'ils prennent gratuitement en consultation les myopathes. Mme Pagès affirme que les charges financières, particulièrement lourdes, éprouvent énormément les familles des myopathes, souvent issus de milieux défavorisés (déplacements en taxis ou en fourgon loués pour les séances de rééducation fonctionnelle et les visites médicales, médicaments, chaises roulantes et autre matériel médical spécifique… ). “La pension d'invalidité, (3 000 dinars par mois, ndlr) ne suffit pas. Et puis, les parents ne veulent pas de la charité de l'Etat, mais d'une véritable stratégie d'insertion sociale”, souligne l'assistante sociale. Le président de l'Association de Sétif attire l'attention de l'assistance sur le fait que bien que dérisoire, ladite pension n'est attribuée aux myopathes qu'à partir de leur dix-huitième anniversaire, alors qu'ils ne survivent que difficilement au-delà de cet âge, eu égard aux complications graves induites par leur maladie, dont l'insuffisance respiratoire. Les myopathes souffrent aussi de l'inaccessibilité des lieux publics, du manque de logements inadaptés et parfois précaires, et de l'ignorance de certains enseignants et de responsables d'établissements scolaires. Une psychologue témoigne des péripéties vécues par les parents d'une petite fille, atteinte d'une pathologie neuromusculaire, exclue arbitrairement de l'école. Il aura fallu se battre contre vents et marées, pendant une année, pour que la môme puisse réintégrer sa classe. “J'ai perçu une grande souffrance chez les parents de ces enfants malades, car ils ne trouvent pas d'écho à leurs besoins et attentes”, conclut Mme Pagès. Bien qu'armées de bonne volonté, les associations investies dans la lutte contre les maladies neuromusculaires se limitent à des actions sporadiques de bienfaisance envers les malades et leurs proches (dons de fauteuils roulants et de matériels médicaux, sorties de loisirs… ) ou, dans le meilleur des cas, à une assistance pour une prise en charge thérapeutique. Par le projet FICR, deux associations contre les myopathies (Adem et ACLM Sétif) sont intervenues, d'une part, contre la marginalisation des personnes souffrant de maladies neuromusculaires, et pour mettre en place un projet destiné aux jeunes enfants myopathes et impulser une synergie entre les associations, les pouvoirs publics et les malades, de l'autre. Même si cela semble être un rêve impossible, beaucoup de ces organisations souhaitent marcher sur les traces de l'Association française contre les myopathies (AFM) qui a réussi, grâce au téléthon, institué en 1987 et qui lui génère chaque année des ressources de l'ordre de 100 millions d'euros environ, à financer 35 recherches sur les maladies orphelines et neuromusculaires. “Les unes font appel à la pharmacologie classique, les autres sont très innovantes : utiliser un gène sain pour trouver le médicament ou réparer un gène comportant des anomalies”, explique-t-on sur le site de l'organisation française. Créée en 1958 par des malades et parents de malades, qui voulaient prendre en main leur vie et leur devenir, l'AFM est reconnue d'utilité publique en 1976. Elle vise, par ses objectifs, à trouver des traitements efficients à plus de 200 maladies neuromusculaires et réduire le handicap qu'elles provoquent.