“Je mourrais à l'Aïd, les Kabytchous feront la fête…” C'est ce que disait, quelques semaines avant sa disparition, Abdellah Mohia, cet artiste aux multiples facettes et au talent plus qu'avéré. Pour parler et évoquer Abdellah Mohia, sa sœur Nadia Mohia a animé, samedi passé, une rencontre à l'espace Noun autour de son dernier livre, la Fête des Kabytchous (c'est ainsi qu'il appelait les Kabyles, son peuple, un peu par dérision et beaucoup par amour). Un livre dans lequel elle reviendra sur une relation très spécial qui la liait à son frère. “Ce livre a plusieurs entrées. Il a récit linéaire”, disait-elle. Un récit pour lui permettre d'avoir une trame et surtout pour pouvoir exhumer, voire “accoucher” des mots : “Il y allait de ma propre santé. Cela remettait en question l'histoire familiale. (…) J'ai écrit chaque ligne de ce livre en pleurant. C'est arraché.” Et d'ajouter : “Dans ce livre, j'en parle (de son frère, ndlr) dans tous les sens. Je ne me suis même pas permise de le définir. C'est une espèce d'enquête dans son entourage. Je me suis quand même gardée de le fouiller, d'en fabriquer une image de lui. Je rapporte des faits.” À propos de sa relation avec son frère, elle dira qu'elle a eu à occuper plusieurs rangs, celui de sœur, de fille, de mère… Elle l'a accompagné quotidiennement les six derniers mois. Plus présente que jamais, à le suivre pas à pas jusqu'à la fin. C'est tout ce vécu et cette souffrance qu'elle a endurés qui l'ont amenée à écrire ce livre qu'elle ne considère pas comme une autobiographie. “J'avais quelque chose à dire et je suis allée jusqu'au bout. J'ai fait le tour. J'ai réglé des choses. C'est une thérapie pour se soigner, s'en sortir.” Et si elle a opté pour la langue française, c'est pour mieux exprimer ce qu'elle ne pouvait dire dans la langue maternelle, mais aussi pour prendre une certaine distance. Un recul nécessaire à la rémission. Toutefois, cette relation était encore plus complexe, plus intense. Une relation où l'incommunicabilité était de mise. Pour elle, c'était “une violence verbale, mais pour la préserver”. Le débat qui devait tournait essentiellement autour de son livre prit une autre tournure. Celle de l'évocation et des souvenirs. La plupart des présents avaient connu Mohia, directement ou indirectement. À travers son travail, ses écrits et autres adaptations dramaturgiques. Chacun allait de sa vision, son opinion. Mais tous étaient unanimes à affirmer que l'homme qu'il était, était vrai, sincère. Doté d'une grande force de caractère, nul ne pouvait rester insensible à son travail. Par ailleurs, la langue maternelle sera abordée aussi. L'auteure apportera une explication à ce sujet si cher à son frère, mais aussi si sensible. Car la notion de “langue maternelle est terrible”. Selon elle, il ne faut pas la prendre uniquement dans sa seule dimension linguistique. “C'est aussi une façon de voir, de sentir le monde. C'est plus profond.” C'est quelque chose qui plonge dans les racines ancestrales. Le débat aurait pu durer des heures et des heures, il y avait beaucoup à dire sur cet artiste qui a subjugué par sa simplicité, qui a marqué par son travail. Ses traces sont plus que jamais vivaces. Et qui mieux pour parler de lui que sa sœur, avec un autre regard, avec du recul. En lisant le livre, un livre hommage, nul ne pourra rester insensible, car très profond. Un remue-ménage interne.