Devant une assistance médusée, la conférencière, qui devait faire la promotion de son livre La fête des Kakytchous samedi dans la capitale des Hammadites, a déclaré que la langue française était la langue maternelle des Algériens. L'homme de théâtre, artiste et ardent défenseur de la langue amazighe que fut et que demeurera son frère, particulièrement en pays kabyle, a dû se retourner dans sa tombe au moment où sa soeur a prononcé ces mots: «La langue française est notre langue maternelle.» Tout ne se passait pas pour le mieux pour Nadia Mohia qui devait débattre de son livre ce samedi au niveau de la petite salle de la Maison de la culture de Béjaïa. Les raisons? Elles n'étaient pas trop nombreuses. Alors que l'assistance attendait l'intervenante sur le parcours de Abdellah Mohia, son itinéraire artistique, ses engagements politiques...cette dernière s'est lancée dans des confidences d'ordre privé. Du genre que Mohia n'était pas un enfant désiré et qu'il n'a vu le jour qu'après une longue attente qui a mis en question la capacité de sa génitrice de mettre un enfant au monde...Nadia a aussi défendu la thèse selon laquelle son frère aurait quitté son pays pour ne pas faire son service militaire...Bref, des informations dont se serait passé l'assistance, à en juger par la réaction de certains auditeurs. «C'est curieux, on a tout juste l'impression si elle n'a pas envie de minimiser l'oeuvre monumentale de son frère», nous a confié un fan invétéré de l'artiste. Nadia Mohia a jeté un peu plus de trouble dans l'assistance lorsque lui fut posée la question de la gestion future de l'oeuvre de son frère. «Le seul ayant droit est son fils qui a aujourd'hui vingt-cinq ans, moi et mes autres frères ne sommes que des personnes morales», a déclaré la conférencière. Y aurait-il déjà une guerre de succession qui se profile autour du colossal travail et héritage de Mohia? Illustre inconnue, en Algérie, jusqu'au jour de la publication de La fête des Kabytchous, Nadia Mohia qui s'est présentée comme étant psychologue et anthropologue, n'a-t-elle pas voulu jouer sur cette corde sensible qui unit Mohand Ouyahia au peuple kabyle auquel il savait si tendrement s'adresser et qu'il a réussi à apprivoiser pour uniquement réussir une opération promotionnelle? On peut se poser la question en prenant le risque de nous tromper. Nadia Mohia aura en tous les cas contribué, peut-être de façon maladroite, à instaurer un tel climat qui n'est pas fait pour rendre service à son défunt frère pour atteindre la notoriété. Car l'argent, il ne courait pas après. Ses créations enregistrées qui étaient limitées en nombre, étaient le plus souvent conçues de manière artisanale et circulaient souvent sous le manteau. L'oeuvre quant à elle, était monumentale, majestueuse. Adapter Pirandello, Berthold Brecht, Molière ou le Chinois Lou Sin en kabyle, relevait tout simplement d'un tour de force qu'aucun homme de culture n'avait osé avant lui. Il l'a extraordinairement réussi et accompli dans sa langue maternelle: le kabyle. En ce sens, Nadia Mohia ne l'a-t-elle pas poignardé dans le dos après avoir déclaré que «le français est notre langue maternelle»? Aussitôt dit, un participant à sa conférence qui a eu lieu dans la petite salle de la Maison de la culture de Béjaïa, a pris la parole pour lui rétorquer: «En disant que le français est notre langue maternelle, vous venez de commettre une erreur historique. Vous donnez au public l'impression de ne pas connaître votre frère, artiste et homme de théâtre.» Nadia Mohia s'est excusée. Même si Mohand Ouyahia demeure inconnu du grand public, son oeuvre lui a taillé une stature qui n'a d'égale que son immense talent. «Je l'ai connu en 1974 en France. Il était militant de l'Académie berbère. Sa disparition aujourd'hui est une immense perte pour la culture algérienne, notamment kabyle. En fait, beaucoup ne connaissent pas ses créations et les multiples facettes de son talent. De ce fait, ils ignorent ce qu'il a pu apporter et donner à notre culture, car il était encore jeune», a témoigné, lors de sa disparition, l'immense poète kabyle, Lounis Aït Menguellet. Le public avait soif de connaître un peu plus l'artiste. C'est justement ce qu'a omis de faire dans son livre et au cours de son intervention, sa soeur Nadia Mohia qui s'est contentée d'une vente-dédicace samedi à Béjaïa.