Dans La Fête des Kabytchou, Nadia Mohia revient sur les rapports qu'elle avait avec son frère Abdellah Mohia et relève que le poète et dramaturge disparu était en colère contre les milieux intellectuels. Nadia Mohia, sœur du dramaturge, poète et traducteur Abdellah Mohia (Mohand Ouyahia de son nom d'artiste), a versé une larme pour chaque ligne écrite du récit La fête des Kabytchou, paru aux éditions Achab, et présenté samedi 27 février à la libraire-galerie Espace Noûn à Alger. « J'ai eu du mal à écrire ce livre. Il y a un récit linéaire, mais ce livre a plusieurs entrées. J'ai fait un petit travail d'enquête. J'ai essayé d'aller loin, au fond des choses, au risque de m'y perdre. Cela remettait en question toute notre histoire familiale avec la maladie mentale de notre mère », a-t-elle avoué. L'essentiel, pour elle, ce n'est pas la mort du frère, disparu le 7 décembre 2004, mais la conséquence de la perte qui remet tout en cause. « Un des moteurs de cette écriture est : ‘‘où j'en suis ?” Moi et mon frère avons baigné dans les mêmes difficultés et été forgés par la même langue maternelle. Cette même langue qui contient le malheur est difficile à manier entre frère et sœur, entre homme et femme », a-t-elle dit. Nadia Mohia, qui a accompagné son frère les six derniers mois de sa vie, a du mal à parler du rapport qu'elle avait avec Dada, « le grand frère ». « C'est durant cette période que nos rapports ont évolué. J'étais toujours la petite sœur. C'est l'une des dimensions de ce récit qui fait appel au culturel et à la langue », a-t-elle soutenu. Comment sortir de cette « incommunicabilité » entre frère et sœur ? L'interrogation est de Nacéra Saâdi, animatrice de l'Espace Noûn, qui estime que La fête des Kabytchou ne se lit pas comme une biographie. « Il y a de la violence verbale, mais c'est une aussi une façon de préserver la sœur », a-t-elle dit. Selon Nadia Mohia, le fils aîné est dans la société kabyle le délégué du père, mais il ne le remplace pas. « Les fils aînés se sentent parfois investis d'une autorité terrible, même si parfois ils n'en ont pas envie », a-t-il noté. D'après elle, Abdellah Mohia n'a jamais joué le rôle de l'intellectuel. « Dans le livre, je n'ai pas cherché à le définir. J'ai dit ce qu'il était. J'ai rapporté des faits. Je n'interprète pas. J'ai cherché à comprendre des faits. Même mort, l'autorité de Mohia est toujours présente. Je crois avoir tout dit dans ce livre », a-t-elle expliqué, disant avoir recouru à des mots simples pour écrire le récit. Selon Nadia Mohia, psychologue et ethno-anthropologue, la notion de langue maternelle n'a pas été saisie dans toute son ampleur. A ses yeux, cette langue n'est pas seulement celle de la mère. « C'est quelque chose qui est en nous. Ce n'est pas par hasard que des personnes meurent pour défendre la langue maternelle. A travers elle, on apprend une façon de voir le monde », a-t-elle souligné. Dans le débat sur l'identité, elle a appelé à démythifier certaines choses pour les ramener à leur niveau réel. « Un mythe n'est qu'illusion », a-t-elle dit. Elle a relevé que le poète disparu disait que la langue était en friche. Le poète Mohia n'appréciait pas les cercles berbéristes et les militants à horizon étroit. Il était en colère contre sa propre famille et contre les intellectuels. « Il disait souvent que la cible est cette tendance de la modernité à écraser les cultures minoritaires au niveau mondial. Il a appelé à prendre la langue comme matière et la travailler. Pour préserver une langue, il faut la parler », a noté Nadia Mohia, dénonçant « l'impérialisme culturel » qui écrase les langues dites mineures. Abdallah Mohia, toujours peu connu dans son pays, a traduit et adapté au berbère plusieurs œuvres de Brecht, Béranger et Singer. Il a également traduit de célèbres pièces de théâtre, telles que En attendant Godot de Samuel Beckett et Ubu Roi d'Alfred Jarry. « Il pensait avec ses tripes. Il était vrai. Il était entier en adaptant d'une langue à une autre. Il s'est mis au grec et au russe. Il était un monstre du travail. A l'hôpital, il disait que le travail n'était pas terminé », a observé Nadia Mohia. Mais pourquoi « Kabytchou » ? « La dérision est une tradition familiale. Mohia m'a également donné un surnom. Il le faisait par tendresse », a-t-elle répondu. Selon elle, le poète n'avait pas cherché à gagner de l'argent dans son travail de recherche.