In…tel…ligent ! C'est le seul mot qui nous revenait tout au long des 65 minutes — trop courtes — de spectacle que nous a fait siroter la compagnie Masrah Tedj de Bordj Bou-Arréridj à l'occasion de la générale qui a été donnée dimanche au théâtre Abdelmalek-Bouguermouh de Béjaïa. Au tomber de rideau, on ne savait plus s'il fallait continuer à prendre des notes, à prendre des photos, à nourrir la “standing ovation” ou… à embrasser de bonheur son voisin (c'était peut-être une voisine) de fauteuil ! Six personnages ont trouvé leur auteur ! Dans un texte sobre et vivant, loin du discours auquel nous ont habitués la majorité des créations théâtrales en Algérie. La mise en scène de Rabie Guichi aérée et très fonctionnelle, à l'image de la scénographie de Hamza Djaballah, ont fait couler le spectacle de source d'eau vive et pure. Pureté, oui ! Au fait, c'est “chaâbou” ou “chaâbi” ? C'est “chaâboubi”, en fin de compte ! Un spectacle inénarrable ! Nous nous faisons aider par le metteur en scène : c'est un événement (théâtral) autour d'un non-événement. Rien ne se passe si ce n'est la préparation d'un discours que doit lire un roi infantile (royalement campé par Halim Zedame). Ou quelqu'un d'autre, l'un des deux princes : un noceur sadique (Nacir Belkerfa) ou le travesti (Settouf Khellil) ? Et de jouer autour des deux sens de “nekhtob” : faire un discours et demander la main d'une jeune fille. Il faut bien épouser le peuple pour le dompter. Il nous vient alors à l'esprit, ce poème écrit (in Le coeurier) sous forme de comptine par… votre valet (pardon pour le manque de modestie) : “Un, deux, trois/Faites-moi roi/ Quatre, cinq, six/ Et je vous pisse/ Sept, huit, neuf/Je m'fais veuf/Dix, onze, douze/J'vous épouse.” Les deux valets Rabie Guichi et Mohamed ben Djeddou ponctuent la performance avec beaucoup de talent. Théâtre de l'absurde ? Becket ou Ionesco…C'est du “burlesque théâtral”, proposons-nous à Rabie Guichi, le metteur en scène. Il nous approuve. “Je ne voulais faire ni du Becket ni du Ionesco. Il est vrai que Masrah Tedj s'investit dans un théâtre expérimental perpétuel.” Nous nous sommes engagés, en tant que compagnie théâtrale, dans la recherche d'expressions liées aux arts mélangés que l'Algérie possède. La recherche est fructueuse ! Deux petits points à revoir quand même : la musique, même si elle épouse agréablement le spectacle et entre dans l'esprit de la pièce, démarre et s'arrête trop brusquement. Sur l'affiche on lit El Marina, de Rabie Guichi (le réalisateur). Une pièce théâtrale appartient d'abord à l'auteur du texte, le dramaturge. Sauf pour les classiques archi connus : on peut dire L'Avare de (nom du metteur en scène). Tout le monde sait qui en est l'auteur. Dans tous les cas, El Marina est une œuvre majeure qu'on peut déguster sans modération. Car même avec modération, l'ivresse est assurée ! (*) Dans une scène où un acteur boit du vin, un spectateur commente : “C'est du Fanta fraise qu'il boit !”