Résumé : Da Idir propose à Mohamed de demeurer au village jusqu'au printemps. Le jeune homme est hésitant. Il pense à sa mère malade et aveugle. Da Idir le rassure sur son cas. Elle sait tout de même se rendre utile… 11eme partie Da Idir sourit. - Ne crois pas Mohamed que ces femmes qui ont mis au monde des générations d'hommes s'usent aussi facilement. Elles ont un moral d'acier qui leur permet de rester dignes même dans les situations les plus critiques. Ta mère a tenu à aider les femmes de la maison à sa manière. Elle a réuni tous les petits enfants autour d'elle et a réussi à captiver leur attention par des histoires d'ogres et de princesses. Les gosses étaient tellement fascinés hier soir par ces récits qu'ils s'endormirent l'un après l'autre, sans demander leur reste. Alors que d'habitude, ma femme et mes belles-sœurs ont un mal fou à les réunir autour du dîner et à les envoyer au lit. Mohamed rit. - Pour çà, ma mère est championne. Je ne sais pas d'où elle tire ses contes, mais elle nous a toujours fasciné par ses suspenses. Elle sait tellement bien présenter les choses, que je me rappelle que lorsque j'étais enfant, j'éprouvais réellement cette peur de rencontrer l'ogresse et sa fille qui venaient chaque soir au village pour accaparer les enfants qui ne dormaient pas encore. - Et ce soir, il se fait tard et tu ne dors pas encore. Mohamed, il est temps pour nous d'aller nous allonger sur nos paillasses. Il fait froid et nous sommes fatigués par cette longue journée. Demain, le réveil sera plus dur encore. Les matinées sont très fraîches, et si on n'a pas bien dormi, les forces vont nous manquer pour labourer. Mohamed, prenant exemple sur son hôte, se lève. Quelqu'un lui avait préparé son lit. Louisa peut-être, se dit-il en soupirant. Ah ! Comme il aurait voulu revoir ses grands yeux ! Il s'endormit en rêvant à une des belles princesses des contes de sa mère, qui avait le visage angélique de Louisa. Quand Da Idir vint le réveiller, il eut du mal à s'extirper de son lit. - Allez fiston, c'est déjà le matin. Les autres ne vont pas tarder à nous rejoindre aux champs. Et ce fut une autre journée pour le jeune Mohamed. Semblable à celle de la veille, et aux autres journées qui suivirent. Après avoir participé à tous les travaux de la saison et gagné l'estime des paysans, Mohamed est confronté à une autre réalité : celle d'attendre la belle saison. Il ne pourra jamais partir avec le grand froid qui pointe déjà son nez et, de surcroît, avec sa vieille mère sur le dos. Mais saura-t-il rester sage jusqu'au printemps ? Où bien succombera-t-il au charme de sa princesse ? Il sourit. Le jeu, de prime abord, ne paraît pas facile. Mais il était un “invité” dans la maison et malgré l'assurance de ses hôtes, il devrait garder ses distances. Il savait qu'un “étranger” dans un village demeure toujours un “étranger” aux yeux de ses habitants. Même s'il doit y passer le reste de sa vie. C'était là une des règles des origines, auxquelles les paysans attachaient une grande importance. Il était assis sous un olivier centenaire au bord de la route et regardait passer quelques commerçants ambulants qui tentaient de vendre leurs dernières marchandises avant les grandes neiges. Un brin d'herbe dans la bouche, Mohamed se met à réfléchir. Ne pourrait-il pas demander à l'un de ces commerçants de transporter sa mère dans sa charrette et de l'aider à se rendre en ville ? Au bout d'un certain temps, il finit par se raisonner et se dit que si l'aventure paraît à première vue déjà périlleuse, qu'en sera-t-il s'il s'engage dans un voyage où les risques sont omniprésents ? Il battit en retraite et se dit que Da Idir avait raison de lui demander de rester au village jusqu'au retour des beaux jours. D'ailleurs, sa vieille mère ne demandera pas mieux que de garder ses vieux os au chaud encore pour un moment, elle qui craignait tant le grand hiver. Mohamed avait remarqué que ce séjour dans la famille de Da Idir lui avait permis de reprendre des forces et de se reposer. Les femmes ne la laissaient jamais seule. Elles s'occupaient d'elle comme si elle était leur propre mère. Mohamed soupire : sa mère se fait facilement aimer. Elle est si simple et si généreuse. Les enfants l'adoraient et attendaient le soir avec impatience afin de se regrouper autour d'elle et d'écouter les contes qu'elle débitait de sa voix si douce. Y. H. (À suivre)