Lotfi Raïssi a 34 ans aujourd'hui. Depuis 9 ans, il se bat pour obtenir les excuses du gouvernement britannique, coupable d'une grave bavure à son encontre. Au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, le pilote-instructeur algérien était arrêté chez lui par des agents de Scotland Yard, armés jusqu'aux dents. Il est accusé d'avoir entraîné certains des kamikazes qui ont projeté leurs avions contre les tours jumelles et le Pentagone, puis jeté à la prison de Belmarch où il est poignardé deux fois. En 2008, un tribunal londonien l'exonérait complètement des charges retenues contre lui et appuyait sa demande pour des dommages. La Haute Cour a donné un délai au ministère de la Justice jusqu'au 23 avril prochain pour faire son mea-culpa dans cette affaire. Pour sa part, Lotfi Raïssi ne se décourage pas et entend mener son combat jusqu'au bout. Entretien Liberté : La Haute Cour britannique vient de donner un délai jusqu'au 23 avril prochain au ministère de la Justice pour apporter les preuves qui lui permettent de s'opposer à votre exonération. Pensez-vous que le département de Jack Straw a les moyens de réunir ces preuves ? Lotfi Raïssi : Absolument pas. Sinon, ils les auraient fournies depuis longtemps. Les magistrats de la Haute Cour le savent bien. Ils ont accepté d'accorder un dernier délai au ministère de la Justice à sa demande. Mais, ils ont conscience qu'il n'a pas les moyens de s'opposer à mon exonération. Aussi, lui ont-ils ordonné de faire connaître sa décision définitive le 23 avril prochain. Non seulement le département de Jack Straw doit accepter mon exonération, mais les juges attendent de lui des excuses également. Le 2 février 2003, le juge Timothy Workman classait l'affaire, estimant que les allégations formulées à votre encontre par les Américains n'étaient pas crédibles. Vous y attendiez-vous ? Le juge a classé l'affaire car il n'a reçu aucune preuve de ma culpabilité. Lui aussi a compris que mon arrestation était motivée uniquement par le fait que je suis Algérien, musulman et pilote. Au début, les gens n'ont pas compris qu'il s'agissat d'une cabale. Justement, pensez-vous que les services britanniques eux-mêmes ont été manipulés par leurs homologues américains dans cette affaire ? Bien sûr. Les juges de la Haute Cour ont d'ailleurs déploré le fait que la souveraineté britannique ait été malmenée durant le traitement de cette affaire. Pis encore, Scotland Yard ne s'est pas contenté de jouer le jeu du FBI, mais il a fait dans l'excès de zèle, en anticipant ses intentions. Les Américains ont envoyé un document officiel à leurs collègues britanniques leur demandant de ne pas m'arrêter mais d'enquêter à mon sujet, comme ce fut le cas pour d'autres pilotes dans le monde. Mais Scotland Yard a fait le contraire. Ensuite, il a multiplié les bavures en tâtonnant dans le noir, dans l'intention de me charger. Scotland Yard assure pourtant avoir reçu du FBI des preuves ayant abouti à votre arrestation… Le FBI ne détient aucune preuve, ni lui, ni la CIA, ni Scotland Yard. Je les mets au défi d'en fournir une seule. Les juges de la Haute Cour ont d'ailleurs constaté que les Américains ne répondent même plus aux demandes répétitives des autorités britanniques pour leur fournir les fameuses preuves. En fait, les Etats-Unis veulent tirer leur épingle du jeu et laisser les Anglais régler seuls cette affaire. Les Américains sont également responsables de ce qui vous est arrivé. Avez-vous pensé les attaquer devant les tribunaux ? Je l'ai déjà fait. Des avocats s'en chargent sur place. Le seul problème avec les Américains est qu'ils ont des lois antiterroristes qui les protègent et bloquent l'arrivée d'une quelconque requête devant la Cour. Vous avez été innocenté par la justice mais vous n'avez toujours pas le droit d'exercer votre métier. Comment vivez-vous cette situation ? Ma carrière de pilote a été détruite le jour où j'ai été arrêté. J'ai été innocenté par la justice mais je n'ai pas le droit d'exercer mon métier à nouveau. Je suis toujours sur la liste noire, car ici, c'est la loi du plus fort qui est appliquée. Ma situation est comparable à celle de tous les Algériens qui ont perdu 150 000 des leurs pendant les années de terrorisme et qui se retrouvent aujourd'hui sur une liste noire. L'interdiction pour moi d'exercer mon métier s'explique aussi par un mandat d'arrêt international que les Américains ont lancé contre moi et qui est toujours en vigueur. Comment se fait-il que ce mandat d'arrêt international existe toujours alors que la justice britannique vous a exonéré ? Comme je l'ai dit, c'est la loi du plus fort, la loi du cow-boy. Ce mandat d'arrêt limite mes déplacements entre Londres et Alger car je ne veux pas prendre le risque de me faire arrêter ailleurs. Pensez-vous que les autorités britanniques peuvent faire quelque chose pour conduire les Américains à opérer leur propre mea-culpa dans cette affaire ? Les Britanniques ne peuvent rien faire car chaque pays est indépendant dans ses décisions. Mon problème actuellement est avec les Britanniques. C'est au Royaume-Uni que j'ai été arrêté, emprisonné et failli être tué deux fois. C'est ici que j'ai subi une grave bavure, qu'on a détruit ma vie et touché à ma dignité en tant qu'Algérien. Ni moi ni ma famille ne pourrons pardonner ce que Scotland Yard et les services du procureur m'ont infligé. Avez-vous effectué une conversion professionnelle ? Oui, je viens d'ouvrir une société dans le domaine du pétrole. À travers elle, j'essaye de travailler aussi en Algérie. J'espère que je réussirai.