Même les juges de la Haute Cour à Londres ont compris que le département de Jack Straw veut simplement gagner du temps en demandant un délai supplémentaire pour réunir les preuves de sa bonne conduite dans le traitement de l'affaire Raïssi. Au cours d'une audience qui a eu lieu hier, les représentants du ministère de la justice ont révélé avoir contacté les services de sécurité américains dans l'intention d'obtenir les fameuses pièces à conviction qui pourraient remettre en question l'innocence du pilote algérien et exempter les services du gouvernement d'une quelconque bavure. Or, ces preuves tardent à venir. “Les Etats-Unis n'en ont fourni aucune depuis 9 ans”, a fait remarquer le défenseur de Raïssi. Lui emboîtant le pas, Lady Smith, magistrate de la Haute Cour a affirmé que si de telles preuves existent vraiment, Scotland Yard et le parquet auraient pu les présenter il y a deux ans, quand la justice avait exonéré le pilote et appuyé sa demande de compensations. En 2008, un juge britannique reconnaissait déjà que les services du procureur et la police ont fait une grave entorse à la loi, dans leur obstination à confondre le ressortissant algérien. Lotfi Raïssi avait été arrêté au lendemain des attentats du 11 septembre 2001 pour son implication prétendue dans la préparation des attaques. Il avait été inculpé sur la base de recoupements douteux et de fausses allégations. Scotland Yard avait en partie fondé ses accusations sur une vidéo où le pilote apparaît avec un autre individu que les policiers ont confondu avec Hani Hanjour, le kamikaze qui avait ciblé le siège du Pentagone à Washington. Le FBI met la police britannique sur d'autres fausses pistes. Il l'informe par exemple que Lotfi Raïssi a fréquenté la même école de pilotage que Hanjour, en Arizona. Mais ni la police fédérale américaine ni son homologue britannique ne confirment l'existence de quelconques rapports entre les deux hommes. Pour autant, cela n'a pas épuisé leur volonté à compromettre coûte que coûte le pilote algérien. En évoquant les Etats-Unis, Lady Smith qualifiait, hier, leur demande d'extradition de “pathétique”. Mais les récriminations des magistrats de la Haute Cour ciblent surtout le gouvernement britannique, coupable d'avoir été manipulé par les américains dans une affaire aussi grave. Aujourd'hui, les Etats-Unis ne se soucient guère de savoir si leurs cousins d'Outre-Alantique vont payer le prix fort pour avoir, à leur demande, arrêté et emprisonné un innocent. “Nous leur avons demandé de nous faire parvenir des preuves sur la culpabilité du pilote, mais nous n'avons reçu aucune réponse”, a admis la représentante du ministère de la justice. S'embrouillant dans les dates et le contenu précis des réclamations, elle fait sourire les juges. Elle évoque dans un discours très vague l'envoi d'un e-mail et une conversation téléphonique qu'un fonctionnaire du ministère de la justice a eue avec un responsable US. Deux jours avant l'audience, le Foreign Office a relancé les américains. En vain. “Nous allons leur adresser une nouvelle demande demain”, a révélé la représentante du département de Jack Straw à la Cour, dans l'intention d'obtenir un report. Le 23 avril prochain, le ministre de la justice devra faire connaître sa réponse définitive. Cette date a été choisie sciemment par les magistrats car elle devance la tenue des élections législatives en mai. Si l'affaire n'est pas réglée avant, les choses ne seront peut-être pas en faveur de Lotfi Raïssi. Dans le cas où le parti conservateur prend le pouvoir, il demandera à revoir tout le dossier. Pour le moment, Lotfi Raïssi reste optimiste. Rassuré par le comportement solidaire des juges, il sait que sa cause vaincra. “Le ministre de la justice doit s'excuser”, martèle-t-il, avec une détermination intacte.