Même si le niveau de concertation avec les opérateurs reste pour l'instant le point faible de la démarche mise en œuvre par le ministère de l'Industrie, les assises sur les industries agroalimentaires, organisées la semaine dernière à la résidence El-Mithak d'Alger, constituent le premier exercice concret de tentative de définition par les pouvoirs publics algériens d'une stratégie industrielle sectorielle. Après au moins deux décennies marquées par les regrets formulés à propos de l'absence d'une telle démarche, il ne s'agit sans doute pas d'un événement négligeable. trois ans après les assises de l'industrie, le projet présenté par le ministère de M. Temmar est la première déclinaison de la stratégie industrielle annoncée au Palais des nations en février 2007. Le programme de développement national des industries agroalimentaires devrait être opérationnel avant la fin de l'année en cours pour s'étaler jusqu'en 2014. Selon les propos du ministre de l'Industrie, “il sera soumis au gouvernement afin qu'il prenne les mesures adéquates pour sa mise à exécution, une fois adopté par les parties prenantes”. C'est la même démarche qui doit être élargie à dix autres activités industrielles définies comme prioritaires par les pouvoirs publics. On connaît les tensions qui ont traversé l'Exécutif algérien sur ce chapitre et le peu d'enthousiasme que les projets du ministre de l'Industrie ont semblé inspirer jusqu'ici à M. Ouyahia. Il sera intéressant d'observer, dans les prochains mois, le degré de soutien dont la démarche initiée par M. Temmar bénéficie de la part de l'ensemble du gouvernement. Un enjeu national “En dépit d'un potentiel parmi le plus important de la rive sud de la Méditerranée, la capacité globale de l'industrie algérienne s'est amoindrie au profit des importations devenues massives”, constate le rapport établi par le ministère de l'Industrie qui affirme également que “l'industrie agroalimentaire doit redevenir un enjeu national”. La principale finalité de la stratégie définie pour les industries agroalimentaires sera donc “d'améliorer sensiblement l'offre de produits agricoles transformés et de favoriser la promotion des industries agroalimentaires”. Le programme a pour principal objectif d'accroître de 10 points la contribution des IAA dans le PIB industriel en la faisant passer de 50% en 2009 à 60% en 2014. Il vise également à densifier le tissu industriel des IAA à travers la création de 500 entreprises au sein d'agropoles régionales entre 2010 et 2014, ainsi que la création de 100 000 emplois au cours de la même période. Le programme comporte, en outre, un volet renforcement des compétences et de la qualification au sein du secteur avec la création d'un centre technique national et la mise à niveau de 500 entreprises. Une transformation en bout de chaîne L'intégration entre l'agriculture et l'industrie est également au programme avec la signature prévue d'”au moins 5 000 contrats industriels-agriculteurs par an”. L'intervention en marge de ces premières assises du président du FCE, M. Réda Hamiani, souligne en contrepoint le chemin qui reste à parcourir : “Dans la majorité des filières, les activités de transformation ne se font qu'à la marge. Il faut à tout prix dans les prochains plans de développement qu'on puisse atteindre une intégration en amont de l'ordre de 50%, alors que nous ne sommes qu'à 10 ou 15% actuellement.” Des exportations dérisoires La barre est également placée très haut en matière de développement des exportations. L'enjeu des exportations hors hydrocarbures est qualifié de “lancinant” et “les exportations de produits agroalimentaires sont appelées à apporter une contribution majeure”. Le programme élaboré par le ministère ne prévoit rien de moins que la multiplication par 10 des exportations du secteur d'ici 2014 grâce à la création de 5 consortiums d'exportation et à la mise à niveau de 500 entreprises dont 200 seront éligibles à l'exportation. Dans ce domaine, c'est l'Agence algérienne de promotion des exportations (Algex) qui livre les principaux repères. Son directeur, M. Mohamed Benini indique que les exportations algériennes de produits alimentaires n'ont représenté que 97 millions de dollars en 2009. Un montant qu'il juge “dérisoire” en comparaison des importations qui frôlent les 6 milliards de dollars. Les principaux produits exportés sont, dans l'ordre, les eaux minérales, les pâtes alimentaires, les dattes et les truffes. M. Benini explique que les exportateurs algériens “peinent à atteindre les standards internationaux en matière de calibrage, de transformation ou d'emballage”. L'exportation de biens alimentaires a également pour obstacle la défaillance de la chaîne logistique et du circuit de commercialisation (absence d'avions-cargos, lignes maritimes insuffisantes, absence d'infrastructures de conditionnement au niveau des ports). Le directeur d'Algex plaide en faveur d'“une meilleure structuration de l'offre algérienne en la rendant plus visible à l'international” à travers “un bon ciblage des foires et salons internationaux, ainsi qu'une meilleure exploitation des circuits de distribution à l'étranger”. Un dispositif institutionnel impressionnant Pour appliquer cette stratégie et encadrer le développement du secteur, le ministère de l'Industrie prévoit la mise en place d'un édifice institutionnel impressionnant. L'objectif est à la fois de créer des structures de pilotage et de favoriser la concertation avec les opérateurs. Au chapitre du pilotage, on prévoit la création d'une délégation interministérielle, d'un comité interministériel de logistique et d'un observatoire économique des IAA. Les financements ne devraient pas manquer non plus puisque le ministère préconise la création d'un fonds spécial de soutien aux IAA qui serait doté initialement de 50 milliards de dinars. Plus près des opérateurs Le volet concertation sera assuré par l'installation d'un conseil national des IAA auprès du Premier ministère, dont le rôle sera de regrouper les parties prenantes dans le but de participer à “la définition, la mise en œuvre et l'évaluation des politiques publiques”. Dans ce domaine aussi, les choses ne sont pas gagnées d'avance et c'est encore M. Hamiani qui attire très diplomatiquement l'attention sur la nécessité d'“un lien plus important avec le monde de la production” et “à côté des réunions institutionnelles de réunions plus actives avec les acteurs sur le terrain”. Suspension des exportations de pâtes et de couscous En marge de ces assises de l'industrie, la décision du ministère du Commerce de suspendre les exportations de pâtes alimentaires occupe beaucoup de conversations. Deux logiques concurrentes sont en conflit. Pour le ministre du Commerce, M. Hachemi Djaâboub, “les exportations de pâtes alimentaires et de couscous sont suspendues pour la simple raison que ces produits sont faits à base d'intrants subventionnés. On ne peut pas subventionner les consommateurs d'autres pays”. Pour les exportateurs, c'est un coup dur : “On a mis presque 3 ans à conquérir ces marchés et nos produits sont appréciés.” Les principaux exportateurs assurent importer eux-mêmes leur blé en ne faisant pas appel au blé subventionné par l'Etat. Le directeur d'Algex, Mohamed Benini, tente une synthèse : “Pour le couscous en particulier, il peut y avoir un label algérien. Il ne faut peut- être pas regarder uniquement le côté des recettes devises. Il y a aussi le nombre d'emplois créés au niveau local par l'augmentation d'activité des entreprises de transformation.”