Avril 2009-avril 2010. En onze années de règne, le président Bouteflika n'a jamais eu une année aussi chaotique. Alors que certains évoquent le “mandat de trop”, son bilan politique est aussi chétif que ses apparitions en public. Bouteflika a traversé cette année quasi invisible. Aucun geste fort. Aucun discours éloquent. Pas d'orientations claires. Le président Bouteflika semble avoir perdu l'énergie et l'envie de celui qui voulait laisser une marque dans l'Algérie contemporaine. Les raisons de cette faillite sont multiples. Personne n'avait prédit, à l'issue d'une victoire sans saveur aux élections de 2009, une telle bérézina. D'abord, l'homme Bouteflika a eu l'année la plus difficile sur le plan privé. Aussitôt sa victoire consommée, on le signale à Genève pour un contrôle médical de routine. À moins que cela soit celui de son frère, Mustapha. Car, Bouteflika, la famille, s'est exposée, à cause des drames privés, au voyeurisme populaire. À l'image des Kennedy, on décortique leurs sorties à l'étranger, on scrute les agissements de l'un, Saïd Bouteflika, “le Raspoutine” d'El-Mouradia, à qui l'on prête la démesurée ambition de fonder un parti pour 2012, ou l'autre, Nacer, rappelé aux côtés de son frère ; et on disserte sur le “clan familial”. Bouteflika voit glisser son image de chef de la nation à celle de chef de famille. Inexorablement, péniblement. Le paroxysme a été atteint avec la mort de feue Hadja Mansouriah Ghezlaoui. Un événement douloureux qui rameute les opportunistes de la politique. Tous savent la relation privilégiée que le Président avait avec sa défunte mère et empêchent, de facto, les enfants à faire le deuil en privé. L'enterrement est public et il fallait toute la lucidité de la famille pour que le JT de la télévision ne reprenne pas les funérailles. La preuve que les Bouteflika ont cessé de s'appartenir et ont fini par être emportés par la rumeur. Sociale ou politique. Celle des cafés et des salons d'Alger. À tel point que Bouteflika cède, face à cette pression, et commande à ses frères d'afficher la cohésion familiale au même JT pour les besoins fallacieux d'une rencontre avec la famille… Zidane. Les Bouteflika agissent comme des “people”. Zidane, Mami, Khaled. Toujours une star qui donne un reflet déformé de ce que les Bouteflika veulent transmettre. S'ensuit une longue période de doutes. Personnels. Psychologiques. Les observateurs se posent les questions les plus ardues : a-t-il toujours envie ? De quoi donc ? De gouverner, bien sûr. Car ce qui maintient les présidents est cette mégalomanie douce et nécessaire de rester au sommet. La flamme. Bouteflika prête encore le flanc. Il ne donne pas l'impression de vouloir encore continuer et réduit ses apparitions publiques. Il boude même la cérémonie du MDN pour le 5 Juillet. Tensions au sommet ? Probablement pas. Du moins pas encore. Car l'homme retrouve une nature qu'on dit capricieuse, imprévisible et sa légendaire humeur cassante. L'abandon se fait alors que l'Algérie traverse des turbulences à cause de la LFC 2009 qui voit une levée de boucliers des investisseurs étrangers et de leur capitale et un gouvernement, vidé de sa substance exécutive par la révision constitutionnelle, ferrailler avec les partenaires étrangers. À Washington, Paris, Madrid, Berlin, Rome ou Londres, les interrogations se font de plus en plus désagréables. Bouteflika ne donne plus l'impression de maîtriser les équilibres. Emeutes, grèves en cascade et bientôt l'ouverture des enquêtes sur les affaires de corruption. Est-il réellement derrière cela ? Les doutes reviennent surtout que des proches, et pas des moindres, sont cités. L'édifice présidentiel se lézarde. Le ministre de l'Energie, le plus affecté par le scandale Sonatrach, se targue de la confiance d'un Président silencieux. Que peut-il dire sur la corruption qu'il n'a pas déjà dit ? Il a même fixé la priorité nationale, avant la lutte antiterroriste, en 2007. Les corps de sécurité prennent à la lettre les orientations présidentielles et investiguent. Longtemps et dans la discrétion. Les dossiers s'accumulent. Les magistrats s'impatientent. Il faut trancher dans le vif. Et Bouteflika ne dit rien. Du moins en public. La sérénité se transforme en indécision. “Er-Raïs” ne répond plus. C'est l'heure des choix. Douloureux encore et des sacrifices impossibles. Bouteflika a-t-il été trahi par les siens ? Il faut régler cette équation dangereuse surtout que l'homme est loyal envers ceux qu'il aime. La veuve de Ben Bella est enterrée avec les honneurs nationaux. Larbi Belkheir, Bachir Bouamaza et Ali Tounsi sont inhumés dans l'indifférence présidentielle. On décortique ces gestes qui valent autant qu'une parole politique. Bouteflika dit tout à travers les non-dits. Il laisse faire les interprétations, les rumeurs et les porte-voix. La parole d'El-Mouradia est distribuée autrement. “Le clan des Malgaches” (Zerhouni, Ould Kablia, Temmar) monte au créneau pour défendre la décision présidentielle. Les proches (ses frères et Belkhadem) se chargent des coulisses politiques. Et il y a Chakib Khelil. Celui qui conditionne le recentrage de la présidence. En interne et à l'international. L'onde de choc des scandales n'est pas absorbée. Et Khelil joue sa peau au GNL 16. Les capitales étrangères ont compris et font durer le plaisir. Elles attendent. Aucune puissance ne veut mettre son nez dans cette cuisine algérienne qui sent les scandales épicés et l'indigestion. Politiquement, c'est le désert. Au multipartisme administratif qui met en coupe réglée l'opposition, ne succède aucune perspective. Pourtant, Bouteflika voulait toutes les cartes en main et les a eues avec cette regrettable sensation de gâchis. Le Président s'isole dans son mutisme et ne propose que la récurrente réconciliation nationale qui fait le lit d'un retour sournois de l'intégrisme social qui affecte aussi bien les institutions que la société algérienne. L'absence d'un projet de société se fait cruellement sentir. On exhibe la rente, on réforme en surface et on construit des barrages, des lycées et des autoroutes pour tromper le progrès. Mais l'échec est toujours aussi solide dans l'incapacité de construire la citoyenneté et fonder un Etat moderne. Même l'éclaircie du football, qui a probablement donné le plus de joie au Président et des motifs de croire à la vivacité de la nation, est devenue un capital vite dilapidé. Ainsi, le 9 avril 2010 est un anniversaire morose. Et il semble réellement improbable que le Président parle. Même si la plupart de ses partisans veulent qu'il parle. Mais le bruit du silence est lourd. Le silence de Bouteflika est très écouté chez le peuple qui veut bien y croire encore. Pour un troisième mandat. LIRE TOUT LE DOSSIER EN CLIQUANT ICI