Un dossier dans une main, un pneu dans l'autre, c'est l'attitude d'un demandeur de logement subtilement dessiné par un caricaturiste. Une parfaite illustration de la nouvelle culture de la revendication sociale qui s'est installée et accentuée dans le pays, tant les besoins ont augmenté et les canaux de communication disparu dans les approximations des visions officielles de réponse aux multiples réclamations pressantes. Acteurs politiques, élus et instances ont montré leurs limites par une absence volontaire ou faute de prérogatives claires, laissant le terrain à l'expression du désordre devenu une ultime alternative. La scène se réduit ainsi à un face-à-face entre, d'une part, le citoyen qui réclame un SNMG de droit et, de l'autre, le seul appareil dynamique de l'état, la police. L'autorité de l'Etat est ainsi assimilée à un uniforme bleu et une matraque. Une autre caricature. Après une année du troisième mandat de Bouteflika, il ne reste que les cendres des pneus brûlés et les chiffres de ses promesses électorales concernant le volet social. Si l'enveloppe sociale de la loi de Finances dépasse de loin le budget de certains états parmi les plus développés, 10 milliards de dollars, concrètement, les choses avancent à un rythme inversement proportionnel aux ambitions du programme du président. C'est une sorte de rapport absurde qui s'est installé dans cette relation où l'abondance financière ne converge pas logiquement avec les espoirs d'une population pour laquelle un emploi ou un logement constitue des projets de la vie. Paradoxalement, tous les projets lancés au début des années 2000 demeurent inachevés, alors qu'officiellement les bilans évoluent avec des statistiques fantaisistes. Ce qui accentue depuis des années l'exaspération et la colère d'une foule croissante de demandeurs de logement dont la vie, une décennie durant, est transformée en une file d'attente. Alors que le mécontentement augmentait, on ne trouva de réponse qu'en changeant les formules et les chargés de la distribution, faisant tout de même de l'élu, le P/APC, le bouc émissaire pour encaisser les réactions “légitimes” des exclus. Autre illustration de cet état d'esprit, Diar Echems, non que le quartier fasse exception, mais surtout sa proximité avec la présidence. Les émeutes ont fait le tour des chaînes étrangères, la une des journaux et un magnifique black-out des médias publics. Et pourtant ça marche, comme le prouvent les promesses et le relogement des familles de ce quartier bidonville. La recette semble efficace à tel point que même l'aspect linguistique a suivi cette évolution. N'évoque-t-on plus d'ailleurs la question sous l'angle d'acquisition ou d'octroi, mais sous le vocable de “relogement”. Autrement dit, sous le signe de l'urgence. Les images télé présentent “la chose” comme une réalisation, une réelle préoccupation des pouvoirs publics sans expliquer le choix des habitants de Diar Echems et non ceux du bidonville de Hydra ou de ces centaines de bidonvilles qui “ceinturent” Alger. Ils suivront l'exemple par reflexe, par, désormais habitude revendicative, et souvent par dépit devant les chiffres mensongers. Car, si le million de logements promis lors du mandat précédent était prêts à la date prévue, la pression sur la demande aurait diminué, surtout qu'elle sera soutenue par le lancement de l'autre million du programme actuel. Comme un mot d'ordre tacite, “arracher son logement”, un peu partout, toute l'année est ponctué par des émeutes pour le logement, particulièrement dans les bidonvilles et les quartiers défavorisés. Après la réaction brutale, les pouvoirs publics trouvent, curieusement, toujours des logements disponibles à distribuer. Pourquoi avoir alors attendu l'éclatement des émeutes pour les livrer ? Et cette façon de faire qui place la problématique du logement dans un enjeu politique ne risque-t-elle pas d'influer négativement sur le programme tracé en reportant l'attente sur les véritables demandeurs répertoriés et classés ? Ainsi se reproduit indéfiniment le cercle vicieux de la demande et de l'offre du logement. “Au moins, quand le président visitait les villes, il y avait toujours cet espoir d'inauguration de cités d'habitation !” résumait un observateur.