La nouvelle tendance se confirme, les stations thermales sont devenues une véritable niche touristique, et les gérants de complexe ne se sont pas trompés en décidant d'investir davantage dans ce nouveau créneau. Les vacances scolaires du printemps constituent le pic de l'année, et malheur aux retardataires. Pour vérifier cette nouvelle tendance, quoi de mieux que de plonger dans les hammams de la wilaya de Guelma, connue pour abriter un bon nombre de sources thermales aux vertus thérapeutiques. En plus de hammam El Maskhoutine ou Debagh, ou encore Chellala, et en plus des hammams traditionnels, les nouveaux complexes de Ouled Ali viennent compléter le tableau. Nous prenons la route vers Guelma, le vendredi, premier jour des vacances de printemps. Dès la sortie de Constantine, sur les terres céréalières de Oued Zenati, une noria de bus et minibus, tous siglés “excursion”, attire notre attention : ils se dirigent tous vers les hammams de Guelma. Arrivés à proximité du carrefour de hammam Debagh, les gendarmes se chargent de réguler la circulation en ce vendredi, pourtant réputé être le jour le moins chargé en termes de circulation routière. Nous décidons de pousser plus loin, vers Ouled Ali pour constater, sur place, que les complexes sont pris d'assaut par les curistes, les touristes et les curieux venus de toutes parts. Les parkings des complexes Bouchahrine et El Baraka sont pleins à craquer. Au vu des immatriculations, c'est toute l'Algérie qui est représentée ici. Les hammams, y compris la petite station municipale située en contrebas, sont bondés. En ce vendredi printanier, les enfants s'en donnent à cœur joie et courent dans tous les sens. Les chaînes devant les guichets des tickets du hammam commencent à se former dès 7 heures du matin. Jusqu'à 22 heures, les clients continuent à affluer vers les hammams. Les hammams victimes de leur réputation Sur place, nous croisons Bachir, un sexagénaire de Constantine, arrivé tôt le matin dans un taxi collectif. Il se plaint de la cherté des tarifs et avoue avoir attendu toute la matinée avant de décrocher une chambre : “On m'a dit que tout était complet. J'ai dû attendre jusqu'à midi pour qu'on libère une chambre. On me l'a donnée sans qu'elle soit nettoyée”. Les hôtels et bungalows de Ouled Ali affichent tous complet, bien qu'ils aient augmenté sensiblement leurs tarifs à l'occasion des vacances de printemps. Une dame supplie pour avoir un bungalow, elle crie à qui veut l'entendre qu'elle avait téléphoné pour réserver. Le réceptionniste ne bronche pas : “On ne prend plus en considération les réservations par téléphone en cette période. Hier, on a réservé quatre bungalows, ils sont restés inoccupés, alors que des clients ne trouvaient pas où dormir. Patientez d'ici midi, peut-être qu'un bungalow se libérera.” À ce moment-là arrive un autre client, qui voudrait prolonger son séjour. “Pas question”, lui rétorque le réceptionniste “vous devez le libérer à midi, après, on verra s'il y en a un autre de libre, on vous casera.” C'est que la demande dépasse largement l'offre. Les deux complexes privés de Ouled Ali sont petits. D'ailleurs, leurs gérants s'activent à finir les travaux d'extension. L'un pour construire des bungalows et l'autre pour édifier un nouveau centre de santé. Même situation dans le complexe thermal Chellala. Avec sa capacité de 650 lits, il affiche complet. “De mars à décembre, c'est toujours complet”, nous affirme Amar Taoutaou, le directeur technique. Le complexe a beaucoup investi : un nouvel hôtel de 72 chambres, 2 piscines, 1 restaurant et 1 projet d'hôtel quatre étoiles de 140 chambres avec piscine olympique ne devraient pas tarder à être lancés. Il pourrait servir de base idéale de préparation des équipes sportives. Le parking est plein à craquer en ce week-end de vacances. 3 000 véhicules, 250 bus et 30 000 visiteurs par jour qui se déversent sur un complexe de 44 hectares, devenu par la force des choses un parc d'attractions, grâce à ses innombrables aires de jeux pour enfants, ses étendues verdoyantes, spécialement aménagées pour les familles qui apprécient les longues heures de détente, dans ce cadre idyllique. Mais tout cela a un prix que supporte actuellement le complexe, avec ses employés et ses moyens. Les visiteurs, eux, mangents, se prélassent, garent leurs véhicules, utilisent le hammam, les toilettes et les infrastructures du complexe, en payant le moins possible. D'ailleurs, le directeur technique du complexe, affirme que 25% des visiteurs ne déboursent aucun dinar: “Ils ramènent leur nourriture, garent leurs voiture en toute sécurité, leurs enfants jouent dans les espaces aménagés à cet effet, ils repartent en laissant des ordures que nos employés, avec nos moyens propres enlèvent tous les matins.” Les camions du complexe font parfois huit rotations quotidiennes. Et, aussi paradoxal que cela puisse paraître, plus il y a de monde et moins le complexe gagne. Amar Taoutaou s'explique : “Les gens qui viennent se reposer, se soigner, fuient le complexe quand il y a trop de monde, l'anarchie. Même la qualité de service en pâtit.” Le nombre impressionnant de bus siglés “excursion” est, à lui seul, révélateur de cette anarchie car “personne ne nous a contactés, personne ne nous a avisés. Ils débarquent dès l'aube, utilisent nos infrastructures sans payer un dinar.” Même les hammams traditionnels, les ancêtres de hammam El Maskhoutine, bâtis, d'abord par les lointains Romains ou les proches Français, connaissent une grande affluence. Le centre-ville connaît une animation particulière, trop folklorique, certes, mais dénotant de l'attrait certain de cette région. Les célèbres chutes de hammam El Maskhoutine demeurent un vestige imposant des miracles de la nature, ainsi que les rochers et les sources bouillonnantes se déversant dans la cascade. L'APC a, certes, beaucoup fait en matière d'aménagement du centre-ville, mais à trop vouloir exploiter des richesses naturelles et archéologiques célèbres, on a frisé le folklore et l'anarchie même. Sinon, comment expliquer l'installation d'un manège en plein milieu de roches et de ruines qui avaient beaucoup plus besoin d'entretien, de guides touristiques et de plaques indicatives sur leurs origines, leur histoire ? Comment justifier le squat de la belle esplanade faisant face à la cascade, par des vendeurs et photographes ambulants d'une autre époque ? Est-ce en ramenant des paons, des gazelles, des chevaux, des chameaux et même des motos, qu'on compte encourager le tourisme, ou faire connaître les cascades ? Nouvelle tendance, nouvelles habitudes Si, par le passé, les stations thermales étaient visitées essentiellement par les curistes, elles sont, à présent, la destination privilégiée des vacanciers d'un nouveau genre. Beaucoup de familles préfèrent partager les vacances scolaires de leurs enfants en joignant l'utile à l'agréable. Quoi de mieux que de se refaire une santé, en profitant des bienfaits des sources thermales et de toutes les prestations qu'elles offrent en matière de remise en forme ? Le tout en permettant aux enfants de profiter pleinement de leurs vacances, grâce au cadre agréable, en pleine nature, et en toute sécurité. Ceux qui peuvent se permettre un séjour d'une semaine ne repartiront pas déçus, surtout s'ils prennent un bungalow. Les autres se contenteront d'une chambre d'hôtel, de cures au hammam, et de longues journées allongés sur le gazon faisant face aux montagnes verdoyantes et à des tableaux de toute beauté. Pour le reste, ceux qui peuvent faire l'aller-retour en une journée, ces balades printanières restent une distraction, peut-être la seule qui s'offre à eux, en famille, lorsqu'on connaît le manque de lieux de distraction en Algérie. Mais à tendance nouvelle, comportements nouveaux. En effet, les nouveaux touristes ont du mal à se faire à l'idée qu'ils se trouvent dans des endroits censés être réservés aux curistes et où le repos fait partie de la thérapie. Nous avons assisté à une scène à la réception du complexe El-Barka, lorsqu'un vieux est venu se plaindre à la réceptionniste des enfants qui couraient dans tous les sens et qui faisaient du bruit, l'empêchant de dormir. “Je suis là pour une cure”, disait-il. La réceptionniste avoue son impuissance : “Que voulez-vous que je fasse ? Leurs parents les ont ramenés parce qu'ils sont en vacances. C'est le seul moment où ils peuvent être ensemble. Regardez, dehors, vous voyez ces jeunes collégiens qui chantent et qui dansent dans le jardin ? Ai-je le droit de leur interdire d'accéder au complexe ? Ils sont en vacances et ils en profitent.” Les responsables des complexes sont obligés de faire, souvent, le gendarme, en raison des frimeurs qui ne se gênent pas à jouer avec leurs carrosses, mettant en danger la vie des autres, ou encore les couples de tourtereaux squattant tous les espaces abandonnés par les familles. Les visiteurs d'un jour profitent des espaces mis à leur disposition pour faire des pique-niques. Même si des poubelles sont disposées un peu partout, les visiteurs jettent tout partout et s'en vont le plus normalement du monde, contents d'avoir passé une belle journée. Parfois, des employés d'entretien ramassent devant eux des ordures, alors que ces visiteurs continuent à jeter par terre tous genres de détritus, notamment les épinards sauvages trop appréciés par les gens de la région. L'incivisme fait des ravages et la propreté a un coût, tout comme l'entretien des espaces verts. Certaines familles, hébergées dans les hôtels, font leur cuisine dans les chambres, préparent le café et font du tapage, confondant entre station thermale et station balnéaire ou oubliant qu'il y a des personnes, à côté d'elles, qui ont déboursé de fortes sommes et parfois ont emprunté pour venir se soigner. Comment faire face au rush des vacanciers ? Ce rush des vacanciers, qui confirme la tendance de ces dernières années, impose aux responsables des structures d'accueil, mais aussi aux responsables locaux, une adaptation rapide pour répondre aux besoins sans cesse grandissants des vacanciers et faire en sorte que cette nouvelle forme de tourisme soit bénéfique à tout le monde. À Guelma, hormis le complexe Chellala, dont 70% des effectifs sont là depuis son ouverture en 1976, et qui ont une formation spécialisée, les autres complexes privés essayent avec les moyens du bord de s'adapter. Le fait de disposer d'un personnel qualifié qui, de surcroît, est natif de la région, constitue un véritable atout pour le complexe Chellala. D'autant plus que l'autonomie des entreprises, décidée au début des années 1990, a permis au complexe de voler de ses propres ailes. Actuellement en pleine rénovation, par ses propres moyens, le complexe devrait se doter, dans quelques jours, de salles de soins qui n'ont rien à envier aux grands complexes de standing international. Le sauna, la salle de vapeur, ou encore les salles de jet d'eau ou de massage sous l'eau sont d'une qualité irréprochable. Le tout dans un décor très raffiné réalisé par les employés du complexe : “Pour le sauna, nous avons cherché sur Internet et avons réalisé ce petit chef-d'œuvre. Si le chantier avait été confié à une entreprise, il aurait coûté dix fois plus”. Le complexe dispose de ses propres unités de menuiserie (aluminium et bois) et toute la boiserie, tout l'aluminium est fabriqué à l'intérieur du complexe. Ce n'est pas rien, lorsqu'on sait, par exemple, que les ascenseurs, tombés en panne, nécessitent une réparation dont le coût est estimé à 1,4 milliard de centimes. La direction du complexe, qui a déjà construit, sur ses fonds propres, un nouvel hôtel de 72 chambres, deux piscines et un restaurant, compte réaliser un autre hôtel quatre étoiles, avec piscine olympique, pour permettre aux équipes sportives d'y faire leur préparation au lieu d'aller en Tunisie. Le projet devrait être avalisé dans les jours à venir par la tutelle et entrer dans la phase de réalisation. Ces investissements constituent une réponse aux attentes d'une clientèle de plus en plus importante et de plus en plus diversifiée. Le complexe, dont la clientèle traditionnelle était composée essentiellement de curistes conventionnés, compte absorber le maximum de demandes provenant de la part de clients non conventionnés. La raison est toute simple : un curiste envoyé par la Cnas, par exemple, pour un séjour de 21 jours, ne rapporte pas gros au complexe. La Cnas débourse exactement 5 890 DA pour chaque curiste qui paye un supplément de 50 000 DA. Si on tient compte qu'une chambre double coûte 4 500 DA et qu'un bungalow est loué à 4 600 DA, on déduit que pour 21 jours de cure, le complexe ne rentre pas dans ses comptes. D'autant plus que le complexe est lié par 17 conventions avec des organismes d'assurances et de mutuelles sociales. Donc, pour le complexe, de nouvelles entrées d'argent seront les bienvenues, surtout si elles lui permettent de vendre au prix réel du marché. D'autant plus que, contrairement aux complexes privés, celui de Chellala est tenu de payer des taxes en tous genres. À titre illustratif, sur le ticket d'entrée au hammam, qui est de 120 DA, le complexe n'engrange que près de 40%. Le reste est versé sous forme de taxes. Au moins sept taxes sont payées mensuellement (600 millions de centimes). “Les complexes privés ne payent pas 5% de ce que nous payons comme taxes”, affirme Amar Taoutaou, qui énumère les innombrables coûts d'entretien des installations du complexe. D'ailleurs, tout le complexe est fermé pendant 45 jours, pour l'entretien annuel. Du côté des complexes privés, on se frotte les mains. Les complexes de petite taille à Ouled Ali permettent de gérer les installations de façon parcimonieuse, même si de nouveaux investissements se sont avérés indispensables pour répondre aux besoins de la clientèle. Ici, on ne travaille pas à perte. Celui qui veut se soigner ou se reposer doit payer à l'avance. Contrairement au complexe Chellala qui dispose d'une quarantaine de personnes, entre médecins, kinés et paramédicaux, les petits centres de santé des complexes de Ouled Ali fonctionnent avec un personnel réduit. D'ailleurs, au centre médical du complexe El-Baraka, on a l'impression d'être dans un fastfood. Le préposé à l'accueil ne se gêne pas pour renvoyer des curistes : “Il reste quelque kâabate (morceaux) à liquider. Repassez demain matin.” Le patron est occupé à construire de nouveaux bungalows en plus de ses deux petits hôtels fonctionnels. À côté, le complexe Bouchahrine affiche complet malgré les prix élevés. Il est vrai que le cadre est agréable, la propreté se voit à l'œil nu et le personnel d'une disponibilité irréprochable. Il reste que le centre de soins et la salle de rééducation restent quasi déserts, en attendant la construction d'un nouveau centre, dont les travaux viennent juste de démarrer. Deux investisseurs privés attendent le feu vert pour réaliser leurs complexes du côté de hammam El-Maskhoutine. Seul problème, les sites choisis pour leurs projets sont situés au-dessus de la source, ce qui n'est pas une mince affaire, techniquement parlant. Pendant ce temps, les vacanciers continuent d'affluer vers les hammams de Guelma, au grand bonheur des commerçants de la région. Cette nouvelle tendance, qui se confirme d'année en année, gagnerait à être mieux encadrée, en faisant confiance aux professionnels du tourisme et en obligeant les autres intervenants à s'inscrire dans une logique de développement durable de cette niche touristique.