Omar Sharif, Youssef Chahine, Naguib Mahfouz et Albert Camus ont été à l'honneur de la 21e édition du Festival théâtre au cinéma qui a eu lieu à Bobigny la semaine passée. Une édition riche et porteuse d'une touche algérienne. Quel est le dénominateur commun entre ces esprits ? Ce n'est pas uniquement les planches ou la scène, mais surtout le cinéaste Youssef Chahine qui a découvert Omar Sharif, a travaillé avec Naguib Mahfouz et a monté à la Comédie française en 1992 Caligula, d'Albert Camus, qui est un amoureux du théâtre. Les films de ce cinéaste égyptien de naissance et algérien d'adoption sont connus et reconnus. Mais Dominique Bax et son équipe ont réalisé une première : présenter l'intégrale de son œuvre, accompagnée d'un grand livre qui lui est consacré. Au programme, Gare centrale qui est considéré comme une œuvre capitale dans sa filmographie. L'autre film troublant présenté est le Choix qui transgresse les codes de genres, multiplie les références cinématographiques, invente un genre hybride, s'inscrivant aux frontières du policier, de la comédie musicale et de l'analyse psychologique. Chahine se positionne comme un cinéaste qui transcende son côté viscéral et communautaire pour s'inscrire dans l'intelligence et l'universel à l'instar d'Orson Welles et Alfred Hitchcock auxquels il a fait des clins d'œil dans ce film. Une intelligence et une universalité portées par son compatriote Omar Sharif qu'il a découvert et propulsé dans le monde des stars en le faisant jouer notamment avec Faten Hamama dans Ciel d'Enfer en 1954. Omar Sharif, mythe vivant du cinéma, a accompagné les huit films présentés dans le festival. Parmi ces films, figurent les Eaux noires (1956) de Youssef Chahine, Goha (1957) de Jacques Baratier et son dernier film J'ai oublié de te dire de Laurent Vinas-Raymond. Ensuite, Naguib Mahfoud, prix Nobel de littérature, qui a été présent à travers surtout son travail avec Chahine. Les deux enfants cairotes ont marié leur intelligence, langage et savoir-faire pour traduire les préoccupations de leur temps. De cette cohabitation sont nées plusieurs œuvres, et plusieurs cinéastes ont porté à l'écran les histoires du nobélisé. Pour exemple, on peut citer le Choix (1970) de Youssef Chahine, le Caire 30 (1966) de Salah Abou Seif, et Début et Fin (1993) d'Arturo Ripstein, enfin, Albert Camus. Le festival a présenté plusieurs œuvres, adaptations, inspirées de sa pensée et documentaires compris, parmi lesquelles figurent l'Etranger de Lucchino Visconti qui nous plonge aussi bien dans l'univers camusien que dans les quartiers algérois des années soixante, et Albert Camus, de Paul Vecchiali et Cécile Clairval-Milhaud, qui ont essayé de cerner la vie et l'œuvre de l'auteur de l'Homme révolté. Dans ce documentaire, Mouloud Mammeri résume Camus dans une phrase, pleine de lucidité et de pertinence d'analyse, selon laquelle Camus a fini par sombrer dans le viscéral et le communautaire qui l'ont emporté sur son intelligence. En restant toujours avec Camus, le cinéaste et dramaturge algérien Saïd Ould-Khelifa publie Deux rives mettant en scène une rencontre fictive entre Kateb Yacine et Camus. À peine ces mythes quittent-ils les écrans, le groupe de musique algérien Djmawi Africa a investi la scène pour noyer Bobigny dans des sonorités gnawi. Au milieu de la foule, Dominique Bax, bercé par la musique algérienne, pense d'ores et déjà à son prochain invité : Arturo Ripstein !