Une rue baptisée du nom de Youcef Chahine, d'aucuns croiront forcément que cela ne se ferait qu'en Egypte, à un degré moindre, deux fois plus qu'une, dans un pays arabe, et il n'est certainement pas farfelu que ce pays arabe ne pourrait être que l'Algérie. Le cinéaste n'avait que des amis, du moins au sein du microcosme culturel, un public ; tous les Algériens, depuis Baba Amin, son premier film (1950), appréciaient un homme de culture qui se fondait avec ses personnages dans la mesure où il était l'archétype même du personnage commun mais aux multiples physionomies comme seul le cinéma savait en faire et plus particulièrement le cinéma égyptien du début des années 50. Chahine, avec son art de décrire ou de présenter, à mesure que le temps s'écoule et donc de ses premiers pas dans le 7ème art à sa disparition en juillet 2008, la société arabe des rives de la Méditerranée, n'a en fait jamais choqué mais a plutôt contribué à l'éveil des consciences et d'une manière phénoménale à la chute de tabous... sous toutes leurs formes. Mais Chahine était capable aussi de faire des films comme Hollywood avait la réputation d'en faire. Salah Eddine (Saladin) en fut l'exemple parfait, quoique ce soient des réalisations comme Gare centrale ou le Fils du Nil qui lui apporteront la notoriété. Ce dernier lui a permis d'être invité pour la première fois au Festival de Cannes (1951). La rue qui portera dorénavant son nom sera inaugurée mardi prochain en présence de sa nièce (Marianne Khoury) et de son neveu (Gabriel) dans la ville de Bobigny (France) dans le cadre d'un festival intitulé «Théâtres au cinéma» qui en est à sa 21ème édition. Cette manifestation, devenue aujourd'hui incontournable dans l'agenda culturel parisien, avait débuté en 1990 avec un premier hommage rendu à Peter Brook et Marco Bellochio pour la dernière (2009). Entre-temps auront eu droit à la reconnaissance des cinéphiles français les artistes et les intellectuels habitués à cette manifestation : Andrezj Wajda, Manuel de Oliveira, Margarethe Von Trotta, Milos Forman, Fassbinder, Robbe-Grillet, Visconti, Raul Ruiz, Glauber Rocha, etc. Parallèlement à l'hommage rendu aux cinéastes, les organisateurs du festival ont également, à chaque fois, tenu à associer un écrivain qui les aurait inspirés les uns et les autres ou du moins aurait permis l'adaptation d'œuvres déjà sublimées et que le passage à l'écran allait dès lors immortaliser. Ainsi en sera-t-il pour Duras, Shakespeare, Dostoïevski, Brecht, Tennessee Williams, Franz Kafka, D'Annunzio… Et pour Chahine, c'est sans doute Naguib Mahfoud. Ce dernier, évoquant le cinéaste, dira lors d'un entretien (le Monde 1996) : «Nous partageons la même spécificité égyptienne. N'importe lequel de mes romans et n'importe lequel de ses films sont le fruit de cette réalité. De plus, le travail de l'un comme de l'autre est passé par des phases similaires. Par exemple le ‘‘nouveau réalisme'' qui, chez moi, a produit la Trilogie, chez lui a donné Gare centrale. Je trouve significatif également que, tous deux, nous ayons été accusés d'avoir représenté les prophètes dans nos œuvres, déclenchant le mécontentement de l'institution religieuse. Chahine a été accusé d'avoir représenté le prophète Joseph dans l'Emigré et moi d'avoir représenté Dieu lui-même et tous les prophètes dans les Fils de la médina.» Et souvent, pour certains réalisateurs, le festival met en exergue les acteurs et actrices qui auront également pesé dans la production d'un film ou littéralement tracé la voie d'une carrière pour un cinéaste précis et, par voie de conséquence, contribué non seulement à sa réussite mais surtout à la reconnaissance du public. En ce qui concerne Youcef Chahine, son parcours dans son ensemble ne peut être dissocié de deux personnages : Omar Charif, dont il est à l'origine de la carrière et Faten Hamama, dans un premier temps pour l'essentiel, et Yousra, ensuite. Cela étant, quelques-uns parmi nos compatriotes établis en France s'étonnent qu'«un tel hommage n'ait pas été rendu en premier par un pays arabe et pourquoi pas l'Algérie en tête», un de nos interlocuteurs au téléphone se laissant même aller à dire : «Encore eût-il fallu que le ministère de la Culture, voire le microcosme culturel local, soit effleuré d'une quelconque velléité en ce sens à l'endroit de nos artistes… qu'ils soient en vie ou non.» A. L.