Le verdict des scientifiques est sans appel : sa survie se joue en Méditerranée où se font 80% des captures (le thon se reproduit uniquement en Méditerranée et dans le Golfe du Mexique). Le thon rouge n'a jamais autant fait parler de lui — il est même au centre d'un scandale —, notamment à travers la récente décision d'exclure les exploitants étrangers de le pêcher dans nos eaux territoriales. Prise de conscience ou intérêt purement commercial ? Les ingénieurs halieutiques travaillant sur le thon nous livrent des éléments de réponse… Le thon rouge est une espèce menacée. Il figure même parmi les espèces les plus menacées proposées par la Principauté de Monaco en 2007 à l'inscription dans l'annexe I de la Cites, synonyme d'interdiction de son commerce international (depuis son entrée en vigueur en 1975, la Cites régule ou interdit déjà le commerce de 34 000 espèces de faunes et flores sauvages). Sa raréfaction est inhérente à l'exploitation abusive et à la demande accrue du marché asiatique — essentiellement les Japonais qui sont, par rapport à leurs habitudes culinaires (sushi, sashimi), de grands consommateurs — mais aussi à l'essor de cette cuisine dans les pays européens notamment, où la consommation du thon est en vogue. “Il s'agit d'une espèce très prisée pour ses qualités gustatives qui est hélas en voie de disparition. Le thon est, faut-il le savoir, une espèce migratrice parce qu'elle effectue deux importants mouvements migratoires. L'une (migration) trophique pour s'alimenter et l'autre de reproduction. Le thon traverse la Méditerranée en bans, ce qui le rend facilement détectable, c'est là que réside sa vulnérabilité”, souligne notre interlocuteur qui ajoute que si le thon figure aujourd'hui sur la liste des espèces marines menacées, c'est aussi parce que sa durée de reproduction est longue et oscille entre 3 et 4 ans. “Quand on pêche les juvéniles, on ne laisse pas l'espèce grandir et donc se reproduire aisément !” L'appel des scientifiques est justifié par le fait que souvent la pêche a eu à coïncider avec la reproduction des thons rouges qui a lieu entre mai et juin. Mais encore. “En 2006, quand l'état des stocks était au plus bas, les scientifiques de la Commission internationale pour la conservation des thonidés de l'Atlantique (Iccat) avaient préconisé l'arrêt pur et simple de la pêche en Méditerranée entre mai et juin. L'Union européenne s'y était opposée, mais elle avait mis en place de nouvelles règles contre la fraude qui touchait tous les domaines : repérage par avion, non-respect des tailles minimales de capture, données fausses ou lacunaires, etc. Résultat, le renforcement des contrôles a quelque peu changé la donne depuis 2008”, est-il mis en sus dans un rapport. Et en quoi donc le thon rouge est-il important pour la biodiversité et les écosystèmes marins ? Selon l'ingénieur halieutique que nous avons rencontré, le thon est un des maillons de la chaîne. C'est un grand pélagique qui consomme essentiellement le calamar qui est, nous l'explique-t-on, utilisé comme appât pour un type de pêche qui est la palangre également appelée le long liner. Le thon rouge est très prisé et pèse sur la balance commerciale. “En 2001, un thon de 300 kg s'est vendu 150 000 euros sur le marché de Tokyo”, est-il rapporté dans un document. Mais ce gros poisson qui pesait autrefois jusqu'à 700 kilogrammes ne dépasse pas aujourd'hui la moitié ! Et si l'Europe a renforcé depuis quelque temps déjà les contrôles des bateaux et des cages où sont engraissés les thons rouges, ce n'est que ces derniers jours — avant la fin des travaux de la convention sur le commerce international des espèces sauvages menacées qui s'est tenue à Doha entre le 13 et 25 mars dernier — que les autorités algériennes ont pris la décision d'autoriser la pêche au thon aux seuls opérateurs algériens. Si elle semble parachutée, elle n'est pas moins infondée et permettra déjà sans nul doute de mettre fin à une surpêche d'une espèce menacée qui n'a que trop duré. Néanmoins, il faut savoir que l'Algérie est membre, voire partie contractante, de la Commission internationale de la conservation des thonidés de l'Atlantique (SICTA) — cela sans compter que l'Algérie dispose de ses propres lois pour préserver ses ressources naturelles. “Nous sommes tenus de respecter les recommandations et les résolutions qui sont chaque année élaborées au niveau de la SICTA. Même notre réglementation émane de cette dernière : durée de pêche (ouverture et fermeture), maillage, etc.”, précise l'ingénieur halieutique. Mais alors pourquoi ce laisser-faire a-t-il autant duré ? La réponse coule de source : “Il n'a jamais été question de laxisme. C'est la réglementation qui stipulait cela. Faute de savoir-faire, nous permettions l'affrètement de navires étrangers. Les sociétés ayant répondu aux appels d'offre. Après dépôt des demandes au niveau du ministère de la Pêche et des Ressources halieutiques, elles avaient leur quota qui, aujourd'hui revu à la baisse, était discuté au niveau de ladite Commission.” En clair, les navires étrangers qui pêchaient jusque-là dans nos eaux territoriales détenaient un permis de pêche et payaient une redevance par tonne sollicitée. Une redevance qui allait au Trésor public. Qu'en est-il du contrôle et qui contrôle quoi ? Ce qu'on nous apprend, c'est que les contrôleurs algériens de la pêche et les gardes-côtes opèrent sur chaque navire. Par ailleurs, la réglementation concerne les individus immatures : il y a 6 espèces qui sont citées et la taille minimale marchande, le quota et les zones de pêche à respecter. Il y a à retenir, en outre, qu'à partir de 2010, il n'y aura plus de navires étrangers, et cela sera sans conteste plus bénéfique à l'Algérie. Le seul hic est que même étant depuis peu dotée d'une flotte thonière, la technicité ne suit pas. “Il faut former davantage de techniciens avec des formateurs étrangers. Cela a été déjà fait dans le cadre d'une pêche conjointe”, argue notre interlocuteur, mais cela reste insuffisant. Ceci étant, la surpêche n'est certainement pas seule responsable de la disparition pronostiquée des thons rouges. La pollution n'épargne pas cette espèce. “Le thon passait près des côtes, d'où le recours aux madragues qui sont une espèce de pièges. Aujourd'hui, le thon fuie la pollution et passe au large. Ce qui pose le problème de l'accessibilité de nos pêcheurs à cette ressource”, conclut l'ingénieur halieutique.