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“Pour nous, c'est l'affirmation du rôle d'arbitrage du bassin atlantique”
Le Dr Mourad PREURE, expert pétrolier international à Liberté
Publié dans Liberté le 18 - 04 - 2010

Liberté : Où en est l'industrie gazière et ce qu'il faut attendre de cette conférence ?
Le Dr Mourad Preure : L'industrie du gaz était déjà en pleine mutation sous l'effet de sa dynamique interne :
- une demande croissante durant trois décennies deux fois plus vite que la demande pétrolière avec pour moteur la génération électrique et qui a connu en 2009 sa première baisse depuis 1945 ;
- une tendance à l'éloignement entre zones de production et marché et une géopolitique tendant au modèle pétrolier ;
- un allongement des routes et une augmentation de la taille des méthaniers et une mutation des acteurs engendrée par cette dynamique, les compagnies pétrolières devenant de plus en plus compagnies énergétiques, fournisseurs de commodités. La grande conséquence pour nous est l'affirmation du rôle d'arbitrage du bassin atlantique avec une convergence de plus en plus grande des prix entre le marché continental et le marché américain.
L'importance de plus en plus grande du marché spot du gaz et la baisse tendancielle des prix, en opposition avec les prix sur les marchés à long terme orientés à la hausse à la suite des prix pétroliers du fait des mécanismes d'indexation rendent nécessaire aujourd'hui un nouveau modèle économique pour l'industrie gazière. Aujourd'hui, les prix spot sont quasiment à 50% au-dessous des prix dans les contrats à long terme, ce qui ne pourra pas durer longtemps. L'industrie gazière est assez spécifique. Le producteur prend le risque volume en investissant pour réaliser les installations en amont, gisements, pipes, GNL. En contrepartie, dans les contrats à long terme, le risque marché est pris par l'acheteur. Ce partage des risques a permis le développement de cette industrie très capitalistique. Dans la mesure où les prix sont fixés par le marché au jour le jour, comme c'est le cas dans les marchés spot, où ils sont hautement volatils (ils ont été divisés par quatre en 2009), le producteur n'a plus suffisamment de visibilité pour investir et les marchés risquent de manquer de volumes dans le futur. Les mécanismes d'arbitrage et de couverture contre le risque marchent aux Etats-Unis car c'était déjà un marché relativement autosuffisant et fortement interconnecté par gazoducs. Cela ne marche pas en Europe. Aujourd'hui, nous connaissons une situation très dangereuse qui me rappelle la crise baissière connue par l'industrie pétrolière en 1986 avec la Russie jouant un rôle similaire avec l'Arabie Saoudite alors.
En effet, la Russie a baissé, pour des raisons internes sa production de 19% en 2009, ce qui a compensé relativement la baisse de 7,5% de la demande européenne. Mais la place de la Russie a été prise non seulement par la Norvège mais aussi par un nouvel entrant qui n'a pas fini de faire parler de lui : le Qatar. Pour reconquérir sa part de marché perdue, la Russie a ouvert une dangereuse brèche : elle consent à facturer de 10 à 15% de ses ventes de long terme sur la base des prix spot.
Il est clair que cette faveur va être demandée encore dans le futur par les acheteurs, certainement pour plus de 15% et surtout, va être demandée aux autres fournisseurs, dont l'Algérie. Tout ceci survient alors que le marché connaît une bulle gazière qui durera encore quatre à cinq ans. La révolution des gaz non conventionnels va certainement tarir le débouché américain, ce qui soumettra le marché européen à une forte pression de l'offre. 100 gm3 de GNL sont déjà en trop sur le marché. Le Moyen-Orient et la Russie, dans une moindre mesure, apporteront de nouveaux volumes additionnels, ce qui va compliquer la donne. De grands projets de gazoducs vont toucher l'Europe du Sud, notre marché naturel, dont le Southstream russe à lui seul représente la totalité des exportations algériennes. Je pense qu'il nous faut privilégier la recherche de partenariats pour modifier notre articulation avec les marchés consommateurs. Il nous faut nous mettre en situation d'une part de protéger nos parts de marché à présent convoitées par les sources russes et moyen-orientales, notamment, mais plus encore, veiller à être parmi les acteurs qui accueilleront ces volumes concurrents, les acteurs qui tireront avantage de leur valorisation. Nos réserves sont réduites, officiellement de 4,5 Tcm contre 76 Tcm au Moyen-Orient et 43 Tcm en Russie. Même si nous devons attendre de bonnes surprises de l'exploration dans notre pays, et je pense que nous en aurons, ma recommandation est que l'on renverse absolument la perspective stratégique et que l'on s'affirme comme acteur énergétique non plus comme source. Voilà comment nous serions en mesure de tirer avantage des mutations structurelles en cours et ouvrir de réelles perspectives à notre pays.
Quelle politique énergétique suggérez-vous au vu des transformations en cours de la scène énergétique mondiale ?
En fait, les acteurs énergétiques vivent une mutation. L'environnement qui leur a donné le jour change fondamentalement, ils devront changer avec lui ou alors, comme les dinosaures, se résigner à disparaître. Les grands facteurs structurants sont connus (émergence d'acteurs globaux évoluant sur un théâtre d'opération planétaire, globalisation financière, prééminence des mécanismes de marché et du court terme). Leur combinaison évoluera de manière de plus en plus instable à l'avenir.
L'épuisement des ressources et la transition énergétique menée par les pays OCDE et qui devrait mener les énergies fossiles d'un niveau de 80% de la demande énergétique mondiale aujourd'hui vers quelque 60% à mi-siècle, accélèrent la mutation des acteurs en même temps que le progrès technique devient de plus en plus la clé des nouveaux rapports de force en gestation.
Dans ce sens, le poids des différents pays acteurs du jeu énergétique reposera de plus en plus (alors même que les réserves s'épuisent paradoxalement) davantage sur la performance et la puissance de leurs acteurs énergétiques que sur le niveau de leurs réserves et de leurs productions. Les logiques militantes des années soixante-dix sont obsolètes et il serait dangereux de s'y accrocher.
Aujourd'hui pour un pays producteur comme l'Algérie la puissance est à rechercher dans la performance de Sonatrach, la qualité de son portefeuille d'activité. Elle doit détenir des réserves dans des bassins prometteurs en international, sa chaîne gaz doit être intégrée verticalement, lui ouvrant l'accès aux marges aval qui sont les plus importantes alors que le risque est maximum en amont. Elle doit être présente dans la génération électrique mais aussi dans les énergies de demain, dont le nucléaire.


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