Il y a quatre années, je m'étais exprimé sur la nécessité d'une vision claire et réelle de notre développement économique et de la nécessité de stratégies à mettre en œuvre par les entrepreneurs algériens et par “un meilleur Etat”, en termes de régulation économique et de soutien à l'émancipation économique de notre pays. Il s'agissait d'aider et d'encourager nos entreprises à capitaux publics ou privés à prendre en charge le développement industriel et des services, pour réduire progressivement les importations de biens et de services qui créaient de l'emploi chez nos partenaires commerciaux de l'étranger et entraînaient la fermeture de nos usines et de nos bureaux d'engineering, tout comme ils nous empêchaient de nous insérer dans le commerce et les échanges mondiaux par l'exportation de la valeur ajoutée réellement par la main-d'œuvre et les compétences algériennes. Il ne s'agit pas aujourd'hui d'essayer de faire de façon prétentieuse un quelconque bilan, mais d'amener quelques réflexions sur la nécessité d'aller de l'avant vers le progrès et l'émancipation réelle de notre économie comme celui de valoriser le potentiel de notre main-d'œuvre et du produit de notre système d'éducation et de formation en vue aussi de redonner espoir à cette immense et généreuse jeunesse qui aspire à entrer dans la vie professionnelle dans son pays et de participer à son développement au lieu de rêver à s'installer sur d'autres rivages. Beaucoup de réflexions ont été lancées et une approche presque académique est faite dans l'élaboration de stratégies industrielles alors qu'un réel déficit d'actions concrètes se remarque au moment où le monde qui nous entoure avance et les opportunités à saisir nous échappent de plus en plus. Ne sommes-nous pas en train de nous disperser en termes de priorités et d'actions ? A priori, quelques secteurs économiques doivent concentrer tous nos efforts. Par exemple, le gaz naturel qui doit dominer notre production d'hydrocarbures pour au moins cinquante à soixante ans doit nous inciter à maîtriser la totalité de la chaîne de valeurs ajoutées de ce secteur, que ce soit au niveau des activités que nous maîtrisons aujourd'hui mais aussi aux activités d'engineering et de production liées à ce secteur que nous avons abandonnées ou à celles que nous avons évitées sous le fallacieux prétexte de l'impossibilité ou celui d'importer ces biens et ces services en raison de la qualité et de la célérité des réalisations à entreprendre. Il ne saurait plus être question de ne pas conquérir de façon lucide et efficace ces activités génératrices de richesses et d'emploi, d'autant plus que l'exploitation et la mise en valeur de ces ressources peut se faire dans la sérénité pour ne sortir des puits que le gaz que nous pourrons traiter, transporter, transformer à travers la gazochimie et la production d'énergie électrique par le biais de biens et de services produits localement. Le secteur de l'énergie solaire, dont la nature nous a doté de façon prodigieuse et pour l'éternité, fait partie de nos priorités, car, ici, la véritable valeur ajoutée n'est pas dans l'exploitation de cette énergie inépuisable, mais dans toutes les activités d'études, de production de biens et de services ainsi que dans la réalisation de toutes les infrastructures grandes et petites y attenantes. Même et surtout, les domaines de la formation et de la recherche développement doivent immédiatement faire partie des priorités des autorités politiques et des institutions de l'Etat comme de tous les opérateurs économiques à capitaux publics et privés ; des dizaines de milliers d'emplois féconds et utiles sont disponibles à travers le développement de cette filière. Le secteur des transports maritimes et l'ensemble des activités productives qui lui sont liées doit lui aussi retenir toute notre attention. Il s'agit là non seulement d'une activité économique que nous avons délaissée, mais aussi un des éléments fondamentaux de nos valeurs ancestrales que nous délaissons. Dans notre Antiquité, Jugurtha s'était rendu à Rome sur des bateaux algériens avec des marins algériens. L'histoire de notre pays regorge d'exploits de notre marine et le futur de l'économie mondiale est non seulement dans le transport maritime mais aussi et surtout dans l'exploitation des ressources animales et minérales des immenses domaines maritimes qui représentent les deux tiers de la surface du globe. Toutes les opportunités doivent aussi être saisies pour rattraper notre immense retard dans ce domaine et pour permettre à notre jeunesse de reconquérir les métiers de la mer comme celui de toutes les industries qui y concourent. Par exemple, l'une des plus grandes entreprises de transport et de service maritimes au monde est en difficultés financières et nous ne disposons pas des outils économiques et financiers, voire de législations nécessaires pour saisir cette opportunité, prendre des parts significatives dans le capital de cette entreprise et réamorcer la maîtrise du transport maritime des biens que nous achetons ou que nous exportons. Devons-nous aussi par exemple continuer à importer près de cinq millions de tonnes d'acier par an alors que nous avions maîtrisé toutes les techniques d'engineering, de recherche développement et de production de cette industrie dans un tout récent passé, et ce, d'autant plus que les nouvelles techniques de production de produits sidérurgiques plats et longs à travers les usines compactes mises en œuvre à travers le monde et nécessaires à notre développement sont beaucoup plus simples à construire et à gérer ? L'industrie automobile, avec trois ou quatre installations de production de véhicules automobiles ainsi que les usines de pneumatiques et les centaines d'usines de composants automobiles et de sous-traitance, apparaît incontournable, même si l'on continue à nous intoxiquer d'informations douteuses quant aux surcapacités à travers le monde dans cette industrie grande génératrice de postes de travail et de potentialités à l'exportation. Une autre de nos priorités consiste à maîtriser les activités mobilisatrices de la matière grise locale et que nous nous devons de domestiquer. Il s'agit de l'engineering sous tous ses aspects : s'il y a des sociétés mixtes à développer immédiatement, ce sera sur l'engineering avec priorité à l'usage de la main-d'œuvre algérienne issue de nos universités, écoles d'ingénieurs et instituts. Grâce à l'introduction effective du progrès technique et d'une main-d'œuvre qualifiée, notre agriculture commence à améliorer sa productivité et à restreindre les effets des aléas climatiques. Il faut dorénavant relier l'investissement agricole et l'aide à la production agricole et animale au développement des industries agroalimentaires en vue de leur permettre d'assurer un amont réel pourvoyeur de produits agricoles locaux par l'utilisation des techniques de production et de management du système productif les plus efficaces et les plus rentables. L'Etat ne doit pas tout faire, y compris dans l'investissement de la grande infrastructure. L'Algérie a besoin d'un meilleur Etat, mais non d'un tout Etat. Le port du Centre avec ses pôles industriels pour toutes les grandes industries implantables au bord de l'eau pour éviter les lourds déficits et la perte de compétitivité dus aux ruptures de charges doit être lancé, même s'il faut recourir au génie et au dynamisme des entrepreneurs locaux. Les techniques du “Built, Operate, Transfert”, mises en œuvre par des entreprises privées dans des Etats aussi développés que ceux de l'Europe occidentale, doivent nous servir d'exemple à suivre. L'approche académique qui semble prévaloir actuellement dans l'élaboration des stratégies industrielles doit permettre à l'Etat d'identifier ses véritables missions dans l'organisation du soutien et de la véritable régulation de l'espace économique productif, et ce, loin des approches bureaucratiques visant à perpétuer la dictature des bureaucrates et des rentiers sur les véritables entrepreneurs locaux grands et moins grands. Une halte à l'instabilité chronique de l'espace législatif et réglementaire doit être marquée. Il y a nécessité d'un moratoire sur les lois et règlements entourant l'investissement et l'activité productifs en vue de ramener la sérénité auprès des véritables entrepreneurs algériens. Mobiliser les compétences et lancer immédiatement le chantier de l'adéquation formation-emploi, revenir progressivement à l'adéquation entre la vérité des prix et la vérité des salaires, interdire le sous-paiement des compétences locales par rapport aux techniciens et cadres étrangers, promouvoir et aider à l'émergence d'entrepreneurs et de capitaines d'industrie algériens, ouvrir le capital des grandes entreprises publiques à la Bourse d'Alger et permettre aux investisseurs locaux de prendre des participations dans le capital de ces grandes entreprises. D'autres mesures doivent être étudiées et mises en œuvre pour accompagner et réussir la mise en œuvre des stratégies industrielles. C'est ainsi qu'il faut lancer le chantier de mobilisation des véritables compétences nationales, de faire dialoguer les opérateurs et entrepreneurs algériens avec le secteur de l'éducation et de la formation pour essayer de se rapprocher de l'adéquation formation-emploi. Sur le plan social, la vérité des prix doit être liée à la vérité des salaires et des mesures doivent être prises pour y revenir progressivement au bout de quelques années comme on doit interdire le sous-paiement des compétences locales par rapport aux techniciens et cadres étrangers. Il s'agit aussi de promouvoir et d'aider à l'émergence d'entrepreneurs et de capitaines d'industrie algériens et d'ouvrir le capital des grandes entreprises publiques au sein de la Bourse d'Alger en vue de permettre aux investisseurs locaux de prendre des participations dans le capital de ces grandes entreprises à capitaux publics. R. A. (*) Consultant en économie industrielle