Illustration du paradoxe politique, le ministre de l'Industrie l'a dit à Londres, alors qu'il était en mission de promotion des investissements britanniques en Algérie : “La corruption est inévitable.” Il y a bien des chances que les investisseurs étrangers potentiels le savent déjà ; preuve en est, ils ne sont plus tellement nombreux à s'aventurer au paradis du bakchich, si ce n'est les firmes qui parlent le langage du pot-de-vin. Les projets les plus emblématiques de notre coopération internationale ont fini en scandales judiciaires ou débouché sur des procédures d'instruction : l'autoroute Est-Ouest, le métro d'Alger, le partenariat turc de pêche au thon, ArcelorMittal, Sonatrach… Ou étouffés à la sauvette, comme dans le cas BRC. Tenez, au moment où Temmar fait ce constat, cinquante et une personnes comparaissent devant le tribunal pour une affaire de détournement… des avantages liés à la promotion de l'investissement que l'Andi, organisme de soutien aux créateurs d'activités, est supposé délivrer en fonction de critères clairement préétablis. Comme quoi, tout peut faire l'objet de détournement dans notre pays : l'argent public, les procédures, l'histoire, la qualité de moudjahid, les voix des électeurs, le courrier, les lignes téléphoniques, les routes et le fleuve… Et les corrompus ne sont pas que des grappilleurs de périphérie qui piquent dans les comptes de petites régies. À en croire la qualité des personnes impliquées dans les affaires qui jalonnent la chronique judiciaire, les enquêtes ont épinglé des walis, secrétaires généraux de ministère, directeurs centraux, P-DG… Mais le sentiment commun est que l'on se contente souvent d'accrocher les petits poissons pour ne pas s'attaquer aux requins. L'affaire Khalifa avait déjà donné un aperçu de cette stratégie sélective dans la répression de la corruption. Il y a comme un seuil hiérarchique qui ne doit pas être dépassé, pas même pour s'interroger sur l'ampleur de la perversion prévaricatrice du système. Le Premier ministre, intervenant au lendemain de l'éclosion du scandale Sonatrach, confirmait la fréquence des faits de corruption en rappelant que quatre mille affaires avaient éclaté depuis 2006. Mais, tout en appelant à ne pas se prononcer avant la justice, il soutenait tout de même que “la responsabilité politique n'est pas établie”. Comme si c'était au juge d'établir la responsabilité politique ! Pourquoi donc ne serait-elle pas engagée dans ces quatre mille affaires comme dans celles qui, peut-être, n'ont pu être jugées ? Comment un Etat peut-il s'estimer tenu de réprimer les excès de vitesse des chauffards et nier sa responsabilité dans la culture de la dilapidation et de la corruption qui mine ses institutions ? Il se trouve, circonstance aggravante, que la prévarication est consubstantielle au régime rentier dans lequel le pouvoir a le monopole de la ressource et de son allocation. L'enrichissement des clans ayant fait main-basse sur le Trésor public fait partie de la finalité politique de tels systèmes. Il justifie leur attachement physique au pouvoir et leur hostilité à toute démarche qui viendrait à leur contester le monopole sectaire de ce pouvoir. On ne peut que convenir avec Temmar : dans un tel contexte, la corruption devient inévitable. M. H. [email protected]