Le débat sur l'interdiction du voile intégral en France s'annonce chaud et il risque fort de s'inscrire dans la continuité de celui sur l'identité nationale. Avec les mêmes effets, les mêmes approximations, les mêmes dérapages. À la demande du président Nicolas Sarkozy, un projet de loi interdisant totalement le port du voile intégral sera déposé au Conseil des ministres au cours du mois de mai, a révélé le gouvernement français. Après dix mois de débats houleux au sein d'une mission parlementaire sur le sujet, mais aussi dans la rue et dans les médias, le président français a donc tranché, indiquant sa préférence pour une interdiction totale, y compris dans l'espace public. La décision a été finalement prise pour aller dans cette voie, malgré l'avis défavorable rendu par le Conseil d'Etat lorsqu'il a été saisi à ce sujet le 30 mars dernier par le Premier ministre François Fillon. Dans son rapport, cette instance a estimé qu'une telle loi “ne pourrait trouver aucun fondement juridique incontestable” et s'exposerait “à de sérieux risques” aussi bien “au regard de la Constitution” que “de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales”. Le gouvernement français a donc choisi de ne pas tenir compte de cet avis, même s'il est conscient qu'une censure par le Conseil constitutionnel n'est pas à écarter. Ainsi, le Premier ministre s'est dit prêt à “prendre des risques juridiques”, attitude largement partagée par sa majorité, comme en attestent les déclarations du chef du groupe parlementaire UMP, Jean-François Copé. À droite, cependant, s'élèvent quelques voix discordantes, comme celle de Dominique de Villepin, qui qualifie cette loi de “surenchère sécuritaire dangereuse” susceptible de mettre l'Etat français dans des situations de provocation auxquelles il “aura du mal à répondre”. Pour Marine Le Pen, vice-présidente du Front national, fortement pressentie pour présider son parti dès le début de l'année prochaine, la loi sur l'interdiction de la burqa n'est qu'“une nouvelle loi publicitaire, (qui veut) faire croire aux Français que Nicolas Sarkozy est volontariste”. À gauche, le gouvernement peut compter sur les communistes. “Ce qui est très important derrière cette interdiction, c'est le fait que nous allons protéger, libérer pas mal de femmes qui vivent la contrainte (…) et sanctionner de manière impitoyable les gourous qui sont derrière et qui pourrissent la vie des quartiers”, a déclaré André Gerin, le député communiste du Rhône, qui a présidé la mission parlementaire sur le sujet. Au Parti socialiste, par contre, l'opposition à la loi est nette et ne souffre aucune nuance. “La question de la burqa, du voile intégral, est une faute intégrale”, a estimé Jean-Christophe Cambadélis, qui a ironisé en imaginant “les policiers courir dans les rues pour enlever le voile aux femmes”. Pour le député Pierre Moscovici, ancien ministre socialiste, le gouvernement veut faire “un passage en force”. C'est une loi de “stigmatisation”, qui risque d'être “inapplicable”, a-t-il ajouté avant de s'attaquer au Premier ministre en affirmant que lorsqu'on est un homme d'Etat, “on ne prend pas de risque avec la Constitution”. Le parti de Martine Aubry compte cependant quelques indécis, à l'image du député Bruno Le Roux, qui trouve néanmoins que c'est “une curieuse méthode” tout en préférant attendre que le texte de loi soit connu pour en débattre en connaissance de cause. Le monde associatif n'est pas en reste. Pour SOS racisme, cette décision dénote le “simplisme populiste” du gouvernement, estimant qu'elle s'inscrit “dans un contexte politique de stigmatisation” provoqué par les responsables politiques. De son côté, l'organisation de défense des droits de l'homme Human Rights Watch a estimé que “tout le monde est perdant” dans l'affaire, dans la mesure où ce genre d'interdictions “violent les droits de celles qui veulent porter (la burqa) et n'aide en rien celles qui sont obligées de le faire”. Le monde universitaire s'est également invité dans le débat. Ainsi, le professeur Bertrand Mathieu de l'université Paris I a estimé que la décision est “symboliquement forte et juridiquement fragile”, tandis que son confrère de l'université de Pau, Denys de Béchillon, a parlé de “scénario maximal, celui qui fait problème sur le plan juridique”. À noter que, selon le ministère de l'Intérieur, moins de 2 000 femmes sont concernées par le port de la burqa en France. Et beaucoup d'observateurs estiment que le dispositif juridique actuel permet l'interdiction du voile intégral dans l'espace public en France, sans avoir à recourir à une nouvelle loi.