La relation de l'Algérie avec la violence n'est ni spécifique ni génétique. Un “verdict” clamé haut et fort par le professeur Slimane Medhar lors de la conférence-débat organisée par l'association des Médersiens jeudi, passé, au Palais de la culture. Tout en affirmant que “la violence est le dénominateur commun de l'humanité”, le psychosociologue n'avait pas hésité à critiquer sans ambages la “réalité” de la société algérienne. Utilisant exemples et anecdotes autour du sujet de la conférence “La violence sociale en Algérie”, il lançait à une assistance médusée, et visiblement surprise par son ton direct, des affirmations crues. Ainsi la principale raison de l'absence de touristes est que “la société algérienne est inhospitalière” précisant que cela est dû essentiellement à “la mal gouvernance” et aux “comportements sociaux”. Insistant à chaque fois que son travail (tiré de sa publication : La violence sociale en Algérie, éditée en 2009 par Thala Editions) est “basé sur des démonstrations”. Le professeur a essayé de décortiquer les comportements sociaux, en utilisant entre autres, anecdotes, métaphores, de l'Algérien type pour expliquer les résultats auxquels il est arrivé. Critique, et sans mettre de gants, il affirma qu'“au lieu d'échanger les informations, on détruit celles de l'autre”. Il l'orna par une citation qui définit toujours, selon lui, le comportement d'un citoyen DZ. “Moi contre mon frère, moi et mon frère contre mon cousin, et moi, mon frère et mon cousin, contre tout le monde”. Une disposition à la nuisance qu'il explique par le fait que “nous sommes immobilisés par une problématique individuelle”. Continuant dans sa mise à nu, le professeur lança implacable : “L'Algérien n'applique la loi que lorsqu'il ne peut pas la violer”. L'aspect sonore a été également répertorié comme une autre forme de violence. “Le calme et le silence les dérangent, voire les inquiètent”. La génétique n'a pas été occultée dans l'approche scientifique élaborée par le professeur. En prenant exemple du fameux coup de tête de Zinedine Zidane (lors de la finale de Coupe du monde de football en 2006), que certains avaient expliqué par les origines algériennes, Medhar a été catégorique. Tout en rappelant qu'il avait fait des travaux de génétique sociale, il affirma qu'il était “impossible de démontrer qu'un comportement est génétiquement déterminé”. Les formes de violence présentes en Algérie ont été classées par Medhar en trois catégories : armée, sociale et physique. Dans sa conférence, il s'est étalé sur les deux premières. Selon lui, le lien est de cause à effet : “La violence armée éclate lorsque le mode de vie que câline la vie sociale menace de disparaître”. Là, on entre dans l'aspect le plus important pour le professeur, le système social traditionnel. C'est lui le problème. “C'est parce qu'il a été occulté” que l'Algérie se retrouve sous la menace d'une “dislocation sociale”. Primordiaux et inévitables “depuis l'Indépendance, on a mis entre parenthèses les repères sociaux traditionnels et ils n'ont pas été remplacés”. En contrepartie, “il ne reste que les mécanismes traditionnels tels que la ruse, le mensonge, etc.”. Les débats ayant suivi la communication de Medhar étaient encore plus attrayants. La passion n'y était pas absente. Tour à tour, les universitaires, Lakhdar Mouagal, spécialiste de littérature comparée et de linguistique, Rachid Mimouni, sociologue, et Zoubir Bendaoud, enseignant à Illiers-Combray, ont interpellé le psychosociologue sur plusieurs thèmes. N'ayant pas peur des mots, et en utilisant un langage direct, Medhar est resté ferme dans son analyse. Sur le régionalisme, il dira que “ça existait bien avant le colonialisme”. Selon lui, la raison essentielle de la réussite de la guerre de libération est que ses initiateurs ont pu surfer au-dessus, en donnant l'exemple de Larbi Ben M'hidi qui “était de Mila, à l'Est, et a été responsable en Oranie”, et Didouche Mourad, “un Algérois d'origine kabyle responsable dans le Constantinois”. Le régionalisme était, selon lui, l'une des raisons de l'échec des révoltes de l'Emir Abdelkader, de Bouâmama et de Fathma n'Soumer. De son côté, Ibn Khaldoun n'a pas été épargné dans l'approche du docteur en psychosociologie qu'est Slimane Medhar. Ce dernier affirma que dans ses recherches sur “al-âssabiya” (l'appartenance sociale) l'auteur de El Muqadima ne s'est appuyé que sur des “considérations morales” occultant ainsi les autres paramètres régissant la société dans le Maghreb. Toutefois, il faut noter que l'assistance aurait aimé qu'il explique pourquoi, il y a cette différence entre les Algériens, les Marocains et les Tunisiens (une question posée par Rachid Mimouni) alors qu'Ibn Khaldoun avait englobé dans son travail tous les habitants de l'Afrique du Nord. À la fin de la conférence-débat, les présents avaient exprimé, chacun à leur manière, leur satisfaction. Sauf le professeur Mourad Aït Belkacem, président de l'association des Medersiens, qui s'est voulu pragmatique : “Certes, c'était très intéressant, mais c'est surtout une preuve que ce genre de rencontres doit se répéter parce qu'on peut faire beaucoup plus”.