Soupçonnée d'avoir fomenté un complot pour renverser en 2003 le gouvernement formé par le Parti de la Justice et du Développement (AKP) l'armée turque, la deuxième de l'OTAN (510.000 hommes) est sur la sellette. Notamment depuis les arrestations et les condamnations de militaires par le tribunal d'Istanbul. Après le réseau Ergenekon que le gouvernement décrit comme une cabale des élites laïques déterminés à maintenir leurs privilèges, l'heure serait à celle Balyoz, (Masse de forgeron) révélée le 19 janvier dernier par Taraf, un journal qui cible régulièrement les forces armées. Sur les 70 hauts gradés de l'armée arrêtés pour «crimes contre l'Etat», 35 dont deux amiraux en activité, ont été inculpés et écroués par des procureurs civils au palais de justice de Besiktas, à Istanbul. Une quinzaine sont toujours interrogés. Selon le gouvernement, ces militaires voulaient préparer le terrain à un coup d'État en menant des actions violentes pour démontrer que le gouvernement de l'AKP était incapable d'assurer la sécurité du pays. Parmi ces actions : abattre un chasseur bombardier turc au-dessus de la mer Egée et accuser l'aviation grecque, placer des bombes dans deux grandes mosquées d'Istanbul durant la prière du vendredi, déguiser un commando militaire en groupe djihadiste, orchestrer un attentat dans un musée de la ville durant une visite scolaire, arrêter des opposants et des intellectuels. Selon les analystes turcs, après les militaires, la justice s'attaquera aux intellectuels. 137 journalistes que l'armée considère comme des collaborateurs pourraient être arrêtés, à en croire le journal qui a reçu une documentation de 5000 pages. La Grande Muette qui se considère comme la gardienne de la constitution, se défend de toute accusation. Elle évoque un «scénario» orchestré par l'AKP, pour politiser l'appareil judiciaireminer l'institution militaire et affaiblir la constitution laïque créée par Kamel Atatürk, le père fondateur de la Turquie moderne ! Les turcs sont divisés sur la question. Certains y voient un début de démilitarisation du pays et de la société turque.Le président Abdullah Gull et le chef du gouvernement Recep Tayyip Erdogan, qualifient la procédure judiciaire de «normalisation» de la démocratie et préviennent que «personne ne sera au-dessus des lois». Les laïcs qui ont organisé de grandes manifestations en 2007, contre la candidature d'Abdullah Gül à la présidence de la République, évoquent un «coup d'État civil» et un acharnement judiciaire pour affaiblir l'armée. Ils n'excluent pas de pousser leur chef d'Etat major à réagir et re-tenter, selon le procureur de la Cour de cassation, Abdurrahman Yalçinkaya, une action judiciaire pour demander la dissolution de l'AKP pour «activités anti- laïques». Cinquième coup d'Etat en cours ou mise au pas de l'institution militaire qui, il y a peu, tapait sur la table pour beaucoup moins que cet assaut d'AKP ? «Les récents événements peuvent se développer en un coup militaire, bien que cela ne soit pas très probable aujourd'hui. Mais s'il y en a un, il y aura beaucoup de victimes» estime Ruben Safrastyan, le directeur de l'Institut des études orientales de l'académie arménienne nationale des sciences. Deux faits récents laissent croire que le bras de fer Armée-AKP prendra fin dans les prochains jours. Une, la Grande muette ne semble pas avoir avalé son incapacité en 2007 d'empêcher la réélection de M. Erdogan malgré ses mises en garde concernant ses «projets cachés» pour islamiser le pays. Deux, le gouvernement qui avait inscrit la révision de la Constitution comme l'un de ses premiers objectifs, après sa large victoire législative de 2007, remet son projet sur la table. Erdogan promet de présenter son projet au Parlement «d'ici fin mars». Ironie du sort ou hasard de calendrier, il a annoncé son projet le jour du 13e anniversaire du renversement de son mentor, Necmettin Erbakan, le premier chef d'un gouvernement islamiste de Turquie.Comme son parti ne dispose pas de la majorité nécessaire pour réviser la loi et qu'il ne peut compter sur le soutien de l'opposition, il ne pourrait que soumettre son projet qui vise réellement à réduire le pouvoir de l'Armée et à permettre aux tribunaux civils de juger des militaires, à un référendum populaire. Un référendum qu'Erdogan qui veut arrimer son pays au monde musulman après le «niet» de l'Union européenne à toute intégration de la Turquie qu'il ne pourra que gagner. D'où son projet de création d'un Conseil de coopération stratégique (CCS) avec le Liban, la Syrie, l'Irak et peut-être sous peu avec l'Iran.