Tentés par le gain facile, les fraudeurs usent de tous les moyens pour acheminer aliments, carburant, cheptel, véhicules et autres cigarettes, alcool et effets vestimentaires de part et d'autre. Pire, ils recourent à des procédés gravissimes et similaires aux pratiques du gangstérisme pour défier les services de sécurité et transgresser les lois de la République. Les temps ont changé et “les bonnes affaires” deviennent de plus en plus difficiles. D'une part, les gardes frontières démentent au quotidien le concept de “frontières passoires”, un concept usité par les ennemis de l'autre côté de nos bandes frontalières terrestres, d'autre part, à titre de seconde ceinture sécuritaire, les gendarmes préparent des “comités d'accueil” pour surprendre les voleurs. Les temps ont changé car le commun des mortels remarquera d'emblée que, effectivement, Tébessa, à l'instar d'autres wilayas frontalières, subit l'effet de la contrebande, de l'intérieur soit-elle, ou de l'extérieur, dès que de gros intérêts et des marchés juteux sont compromis par la présence visiblement dissuasive, mais surtout gênante, des gendarmes relevant du groupement de cette région de l'Est. la lutte implacable dans les milieux de la contrebande a tellement fait mal à ses instigateurs que la donne a changé pour donner lieu, dans certains cas de figure, à des affrontements. Au mois d'octobre 2009, ce sont près de 300 contrebandiers chauffés à blanc qui se sont attaqués aux gendarmes qui venaient de saisir un véhicule bourré de marchandises sans facture et sans registre du commerce. Résultat : ils sont allés jusqu'à forcer le point de contrôle et foncer dangereusement sur des GGF en faction. Bilan : 9 gendarmes blessés, plus de 70 arrestations et des dégâts matériels inestimables. C'est que dans cette localité minée par le gain facile et le principe de parenté à “laârouchia”, le contrebandier ne circule jamais seul. Chaque chauffeur, qui emprunte ces reliefs sévères pour acheminer des produits destinés à ses “partenaires tunisiens”, est systématiquement “escorté” par ses pairs. Qui par le téléphone portable lui ouvre la voie en guise d'éclaireur, qui par la diversion tente de tromper la vigilance des gendarmes ou des GGF qui sécurisent les voies de communication, le trafiquant est “accompagné” jusqu'au point “P”. Zone sensible par excellence, s'étalant sur 297 km de frontières qui butent sur la Tunisie, mais aussi axe de transition vers la Libye et l'Egypte, Tébessa bifurque sur ces brèches où Algériens et Tunisiens commercent tout. Le diagnostic établi, le groupement de wilaya adopte un plan spécial notamment basé sur le renseignement et l'effet de surprise. C'est que le patron de la Gendarmerie nationale, Ahmed Bousteïla, est passé par-là. En plus des missions d'inspection ponctuelles dépêchées, M. Bousteila s'est même rendu en Tunisie pour définir avec ses homologues les termes de coopération, à commencer par le renseignement opérationnel partant du fait que nos frontières connaissent un flux humain annuel avoisinant 1,5 million entre voyageurs et touristes qui y transitent. Sur le chemin des Mouqatilat et des Halabas Nous accompagnons les gendarmes lors d'une vaste opération qui a duré 24 heures sans répit à travers les quatre coins de cette région. Nez à nez avec les gendarmes qui improvisent des points de contrôle, les contrebandiers tentent de prendre la fuite pour laisser derrière eux des centaines de litres de mazout et d'essence ainsi que les moyens de locomotion. Sur la route menant vers Boulhef, 6 véhicules seront interceptés. Deux de marque Peugeot 406 sont occupés par des éclaireurs. Les autres, des R25 et des 505, aux immatriculations trafiquées et aux réservoirs modifiés, sont bourrés de carburant. Cette matière est d'abord destinée à être stockée avant d'être acheminée vers la Tunisie. Les contrebandiers font 5 à 6 pleins/jour dans les stations-service où ils bénéficient de complicité. De 13,70 DA le litre, il sera cédé à 50 DA le litre auprès du receleur avant d'être vendu à raison de 90 DA chez nos voisins. Et chaque voiture – ici, on les appelle almouqatilat (les tueuses) – embarque, tenez-vous bien, entre 600 et 700 litres. Faites vos calculs, mais attention au vertige ! À Bakaria, nous assisterons au même scénario. 7 véhicules faussement immatriculés à Tlemcen, Sétif, M'sila et Tébessa sont saisis sur l'axe de Al-Faydja. À bord de ces tueuses semblables aux précédentes, plus de 150 jerricans de carburant. Les éclaireurs, impuissants devant le dispositif des gendarmes, s'éclipsent dans les vergers et autres fontaines limitrophes comme si de rien n'était. Il y avait même un réservoir prêt à la soudure. À côté, un camion de 10 tonnes est garé. Plutôt saisi. Le propriétaire lui avait trafiqué un réservoir de 200 litres sur le côté latéral droit. Sur cette route, les éclaireurs recourent à tous les stratagèmes, y compris en bloquant la route aux gendarmes en signalant une panne sèche. La compagnie de Tébessa, à elle seule, a comptabilisé, en trois mois d'activité, plus de 9,4 milliards de carburant récupéré ou saisi. Une valeur réelle qui ne prend pas en compte les autres aspects fiscaux et parafiscaux qui découlent de la procédure juridique. Prochaine halte : Al-Houidjbate. Six véhicules sont parqués, dont une R25 blindée, saisie il y a plusieurs mois. Cette voiture a été volée en France. Un autre véhicule, immatriculé à Alger est garé à l'entrée du parking. Cette voiture flambant neuve, de marque Volkswagen, est accidentée. Son compteur est bloqué à 180 km/h ! Sur cet axe routier, de gros sacs de laine sont aussi saisis. Cette matière première, cédée à 3 000 DA sera vendue à 7 000 DA sur le territoire tunisien où des usines de transformation réexportent le produit fini. Des stations-service proposées à la fermeture Le bilan ne sera que fructueux au terme de notre virée dans les sentiers de la contrebande. À commencer par les saisies, dont notamment 7 véhicules, plus de 10 000 litres de carburant, du kif traité, 6 quintaux de laine, et autres produits de niche prisés par les fraudeurs. Et si la valeur marchande dépasse le milliard, on notera, en revanche, que d'autres saisies font l'objet d'enquête et ne sont pas comptabilisées, comme les véhicules, camions et tracteurs agricoles dont le numéro de châssis est falsifié, en plus des documents administratifs. Mais le plus grave est à venir : des propriétaires de pompes refusent carrément de servir du carburant aux routiers. Préférant toucher un plus, car ici tout s'ajuste selon le principe de la contrebande, ils réservent le mazout et l'essence à leurs clients : les halabas. Un plan spécial pour la riposte Le plan spécial adopté, ce ne sont pas moins de 6 674 points de contrôle inopinés et 3 709 patrouilles qui sont enregistrés de janvier à fin avril dernier par les gendarmes. Mieux, deux sections d'élite de la gendarmerie sont mobilisées pour identifier les caches et autres hangars où les contrebandiers stockent les marchandises, notamment le carburant. Y compris les axes de circulation, comme les pistes que traversent les contrebandiers avec des engins puissants, sont cernés pour resserrer l'étau. À Tébessa, les voitures de marque Renault 25 et Peugeot 505 sont systématiquement fouillées, car mises à contribution pour transporter de grandes quantités de carburant avec leur double réservoir “usiné” par le génie du contrebandier. Dans ces zones où le travail en profondeur est quasiment quotidien, les gendarmes mènent également des opérations coup-de-poing à chaque fois que la circonstance le dicte. C'est que même les stations-service et les marchés passent au peigne fin, sur la base de renseignements des différentes sections déployées sur le terrain afin de juguler ce phénomène qui prend des proportions alarmantes. Idem pour les opérations mixtes et multisectorielles que mènent les gendarmes, notamment avec les services des douanes au niveau des postes de Al-Batita, Bouchebka, Ras Laâyoun et Al-Maridj. Sur cette bande frontalière, l'immigration clandestine fait bon ménage avec l'escroquerie dont sont victimes les Algériens.