L'inauguration, hier, d'un nouveau poste frontalier à Maghnia, par le patron de la Gendarmerie nationale, le général-major Ahmed Bousteïla, augure d'une volonté de l'Algérie de se prémunir davantage contre la criminalité transnationale sous toutes ses formes, à commencer par le terrorisme, le trafic d'armes, de drogue et de marchandises de tous genres. Si cette institution républicaine a pris les choses en main pour durcir le ton, c'est parce que la criminalité et la contrebande ont pris des proportions alarmantes au niveau des frontières terrestres “où l'activité commerciale est complètement déstabilisée par le phénomène d'évasion qui a pris de l'ampleur, tant pour les produits alimentaires soutenus par l'Etat que pour les médicaments, la pièce de rechange, les articles électroménagers, le cheptel et les carburants”, soutient-on. Du coup, le renforcement du dispositif à la frontière ouest du pays obéit à la seule logique de parer à la marocanisation de l'Algérie, à travers notamment la lutte contre les cartels de drogue marocains qui, autrefois, acheminaient la drogue et la cocaïne vers l'Espagne avant qu'elle ne soit transférée en Colombie. Et devant une telle appréhension, le patron de la Gendarmerie nationale a annoncé un plan d'urgence lors de sa visite à Tlemcen et à Naâma. En effet, selon nos sources, pas moins de 200 nouveaux postes frontaliers seront inaugurés et seront opérationnels avant fin 2008. Hier, lors de l'inauguration d'un poste témoin à Tikouk, à 10 km de Maghnia, le général-major Ahmed Bousteïla était accompagné des officiers supérieurs de la Gendarmerie nationale, notamment des commandants des GGF, du divisionnaire des Douanes algériennes à Maghnia, Karim Mensous, des autorités locales et des officiers supérieurs de la Police nationale. Objectif, tracer une feuille de route à même de mettre tous les moyens et matériels pour barrer la route à la mafia de tous genres, notamment les narcotrafiquants qui blanchissent l'argent au profit de réseaux terroristes locaux et maghrébins dans le foncier, l'immobilier, l'artisanat et l'hôtellerie. Et le message est on ne peut plus clair : l'Algérie ne compte pas rouvrir ses frontières avec le Maroc à ses détriments. Hier, tous les officiers supérieurs que nous avons approchés ont fait l'impasse sur ce sujet et évité d'évoquer cette question. Y compris M. Bousteïla qui n'a soufflé aucun mot sur ce dossier remis aux calendes grecques. La connexion terroriste et contrebandière remise au goût La connexion des réseaux de la contrebande avec les groupes armés, la modernisation des moyens de transport et de communication étant à la portée des filières qui s'organisent depuis l'étranger, ces phénomènes, autrefois circonscrits aux zones frontalières immédiates, ont, depuis quelques années, atteint les régions profondes du territoire national. Du coup, la contrebande devient, par la force des choses, l'activité principale des populations habitant des deux côtés des frontières (Tunisie - Maroc). Et les facteurs qui contribuent à la prolifération de ce phénomène n'en manquent pas pour prendre racine au niveau des autres villes à travers des réseaux organisés. La Gendarmerie nationale met en valeur, d'emblée, la bonne qualité du produit algérien, le gain facile induit par la différence des prix pratiqués et la présence d'habitations à proximité du tracé frontalier, comme facteurs majeurs qui ont longtemps “encouragé” la contrebande à se proliférer. Cela va sans dire, constate-t-on, que “les relations étroites des riverains et leurs relations familiales facilitent l'échange de la marchandise”. Aussi, la visite de deux jours à l'ouest du pays du général-major Ahmed Bousteïla se veut un coup d'accélérateur à la détermination de l'Etat de réduire ce phénomène, d'une part, et de barrer la route aux multiples filières et autres cartels qui veulent faire des frontières, par ailleurs non totalement bornées, des passoires. Un bilan et des enseignements Il ressort des grandes saisies opérées en 2006, en 2007 et au premier trimestre de l'année en cours que la cigarette étrangère, le carburant, le cheptel (ovin et camelin), les produits alimentaires (farine, semoule, dattes, lait) sont les produits les plus prisés par les contrebandiers. Notamment la cigarette, une filière qui connaît de plus en plus des sources d'approvisionnement depuis les régions sud du pays, comme la Mauritanie où il existerait des unités de fabrication de cigarettes étrangères en quantité excédentaire. Quant aux autres activités de contrebande, elles sont menées à partir des wilayas frontalières avec le Maroc et la Tunisie. Et chaque région connaît sa propre activité dominante comme contrebande : Tébessa - Souk-Ahras (produits alimentaires et cheptel), Tlemcen (alcool, vêtements et carburant) et Adrar - Tamanrasset - Ouargla (cigarettes). En 2006, la Gendarmerie nationale a constaté 3 908 affaires et arrêté 3 441 personnes, dont 1 068 ont été placées sous mandat de dépôt. Les chiffres font ressortir une baisse de 9,51% par rapport à l'année 2005. Durant cette période, en 2006, 672 902 kg de produits alimentaires, 877 437 litres de carburant, 8 588 bouteilles de boissons alcoolisées, 493 956 paquets de cigarettes, 76 476 effets vestimentaires et 1 055 têtes de cheptel ont été saisis par les différentes unités de la Gendarmerie nationale. Il est à signaler que ces produits vont directement aux marchés informels non contrôlés par l'Etat, “portant un risque certain à la santé publique, et dont les produits financiers pourraient soutenir les activités criminelles organisées, notamment le terrorisme et le trafic des stupéfiants”, nous explique-t-on encore. Cela va sans dire que malgré une sensible diminution de la contrebande, le trafic de carburant a connu une augmentation de 40% dans les régions de Tamanrasset, Tébessa, Tlemcen, Adrar, Illizi, Souk-Ahras et Aïn Témouchent. Selon le même bilan révélé par la Gendarmerie nationale, en 2007, ce sont plus de 690 tonnes de produits alimentaires, 357 331 cartouches de cigarettes, soit une baisse de 28% par rapport à l'année 2006. Quant au carburant, ce sont 883 651 litres, soit une hausse de 1% par rapport à l'année 2006, qui ont été saisis. Bien plus, la Gendarmerie nationale reconnaît une hausse sensible dans les affaires traitées (3 922 en 2007 et 3 908 en 2006) et une baisse dans les personnes arrêtées (3 151 en 2007 et 3 441 en 2006). Ce fait touche particulièrement l'est et l'ouest du pays où il a été enregistré 1 871 délits à Tlemcen et 677 autres délits à Tébessa. Pour la période allant de janvier à mars 2008, 1 254 affaires ont été constatées et 976 personnes ont été interpellées, dont 274 d'entre elles ont été placées sous mandat de dépôt, soit une hausse de 12%. En revanche, il a été enregistré une baisse dans les quantités de cigarettes et les boissons alcoolisées saisies et une hausse en matière de produits alimentaires, cheptel et carburant par rapport au même trimestre de l'année 2007. Pour le mois d'avril 2008, 370 affaires ont été constatées et 240 personnes ont été arrêtées, dont 50 d'entre elles ont été placées sous mandat de dépôt. Selon la Gendarmerie nationale, ce sont 22 tonnes de produits alimentaires, 10 282 articles vestimentaires, 7 748 cartouches de cigarettes, 1 111 221 litres de carburant et 81 têtes de cheptel qui ont été saisis. Selon ces statistiques, on relève alors que le premier produit algérien touché par les transactions frauduleuses, notamment à travers la frontière ouest, Tlemcen, est le carburant. Ce produit sert à alimenter les marchés informels, non contrôlés par les services de l'Etat, portant un risque certain à l'économie nationale. De notre envoyé spécial à Maghnia : Farid Belgacem