L'écrivain Yasmina Khadra est un homme heureux. Il a tout : la gloire, le succès, l'amour, et, chose plus importante sans doute à ses yeux, la bénédiction de ses parents. Homme du Sud, il sait qu'il n'ira pas très loin sans cette protection. Le connaissant, il est prêt à envoyer promener le succès, la gloire, pour cette bénédiction. Exagéré ce qu'on dit ? Mais si, mais si, on vous le jure. On traite Khadra d'insupportable mégalo ? C'est parce qu'il ne joue pas au modeste comme tant d'autres qui adoptent cette posture juste pour qu'ils provoquent les louanges. Il sait ce qu'il vaut. Il aurait pu faire sien ce mot de Valery : “Si les esprits valent ce qu'ils exigent, je vaux ce que je veux.” Si quelqu'un s'avise de le chatouiller, Khadra n'a pas besoin de se trémousser : les chiffres parlent d'eux-mêmes : plus d'1 million d'exemplaires pour L'attentat, presque autant pour Les Hirondelles de Kaboul, et Ce que le jour doit à la nuit est en passe de rafler bientôt la mise. Nul n'a encore fait mieux. N'est-il pas le plus traduit (40 pays) ? Khadra est traduit et lu. Et puis, il y a ces Nobel qui l'ont salué (Coetzee, Garcia Marquez), et tous ces grands critiques et ces auteurs mondiaux qui l'encensent. Il s'est construit tout seul. Contre vents et marées. La preuve, chaque livre qu'il nous propose est un événement. Lui ne fait de tort à personne, pourquoi donc lui fait-on autant de mal ? Tenez pour L'olympe des infortunes, boycotté par l'ensemble de la presse nationale française. Pas un journal, pas un magazine, pas un hebdo, pas une revue littéraire (pas même Lire) ne lui a consacré le moindre papier. Quel est donc cet écrivain qui mobilise toute une corporation autour d'un même objet de nuisance ? Du jamais vu ! Khadra serait-il un écrivain d'exception pour pousser l'abjection jusque dans ses derniers retranchements ? Il sait que son talent gêne, sa productivité ulcère, son franc-parler dérange. Ce qu'il ne dit pas, c'est que sa casquette de directeur du Centre culturel algérien donne le tournis et l'urticaire ici en Algérie et là-bas en France. Là on le jalouse de prendre tout : succès, gloire et même les prébendes de l'Etat. Là-bas, on ne lui pardonne pas d'être un commis d'un Etat qui irrite. Savent-ils ceux d'ici et ceux d'ailleurs que Khadra n'est pas heureux dans ce costume. Il se sent à l'étroit. Et quand un romancier est à l'étroit, ce n'est pas bon signe. L'argent qu'il gagne au CCA? Il le dit sans fausse pudeur : des broutilles à côté de ses droits d'auteur. Evident : il suffit d'interroger les listes des bestsellers. Ce qui déroute chez Khadra, c'est son honnêteté et son indépendance. On croit que le poste de directeur du CCA l'a anesthésié ? Erreur. Cet homme est aussi libre qu'une dynamite qui explose. “Je n'ai de haine pour personne. Je n'ai jamais réglé mes comptes. Je suis seulement un citoyen qui aime son pays et qui tente de faire son devoir citoyen. J'ai certainement des ennemis, mais je ne suis l'ennemi de personne.” Que pourrait-on attendre d'un écrivain ? Qu'il troque la plume contre un fauteuil ? C'est mal le connaître : c'est un troubadour du Sud, habitué aux grands espaces avec pour seuls compagnons le souffle du vent et la nudité des paysages. Souffle et nudité, c'est ce qui caractérise son style épuré et concis. C'est un enfant de Flaubert et de Camus. Avec du sang algérien dans les veines. Khadra a sorti le CCA, tout le monde le reconnaît même si c'est parfois du bout des lèvres, de son grand sommeil. Le CCA n'est plus la belle au bois dormant, mais un espace de bouillonnement culturel ouvert à toutes les sensibilités. Ce n'est pas rien. Ici aussi, à ce poste, si on cherche le directeur ou l'écrivain on va trouver l'homme libre. H. G. PS : À la suite de notre portrait sur feu Abderrahmane Laghouati, sa famille nous a fait savoir qu'il est mort entouré de l'affection et de l'amour des siens, accompagné à sa dernière demeure par des dizaines de personnes. Paix à son âme.