Hors-la-loi de Rachid Bouchareb, le film qui a fait couler beaucoup d'encre durant plus de deux semaines à la 63e édition du Festival international de Cannes a été présenté, vendredi matin, devant plus de 4 000 journalistes et télévisions du monde entier. Pour éviter tout incident, les organisateurs et le gouvernement français ont pris des mesures exceptionnelles pour le bon déroulement de cette projection très spéciale, menacée par l'extrême-droite. Très tôt le matin, des cars de CRS se sont installés aux abords du Palais de la Croisette. Du jamais vu dans l'histoire du festival, nous expliquent les habitués. Un cordon de CRS a fermé également quelques rues adjacentes menant au lieu de la projection. Trois points de contrôle ont été installés pour les journalistes invités à la projection. Même les petites bouteilles d'eau étaient retirées à l'entrée. Dans l'immense salle de cinéma du Théâtre-Lumière, la polémique a enfin laissé place au débat constructif et surtout au cinéma…. le vrai. Plus de 24 ans après la dernière image prémonitoire de Mohamed-Lakhdar Hamina, l'Algérie retrouve enfin la compétition pour la Palme d'Or. À cette occasion, une importante délégation algérienne était présente à la Croisette composée par les principaux cadres du ministère de la Culture, conduite par Mme Zahera Yahi, chef de cabinet de la ministre Khalida Toumi et Ahmed Bedjaoui, conseiller auprès de la ministre pour le cinéma. Etaient également présents l'un des principaux producteurs du film Hors-la-loi, Mustapha Orif, directeur de l'AARC (Agence algérienne du rayonnement culturel), mais aussi des réalisateurs venus d'Alger et de Paris, invités pour soutenir le seul film algérien présent au plus prestigieux festival du monde. Car au-delà des fausses apparences, l'Algérie sera en force sur la Croisette, avec des journalistes dépêchés d'Alger, (en plus de ceux installés en France) représentant tous les médias (radio, presse écrite publique et privée et bien sûr la Télévision). Mais l'événement majeur pour la délégation algérienne, c'est surtout la présence de la comédienne principale du film, Chafia Boudraâ, qui plus de 44 ans après Keltoum qui était venue monter les marches en 1966 pour représenter Vent des Aurès de Mohamed Lakhdar Hamina, était là pour représenter, elle aussi, la douleur et le combat de la femme algérienne durant la guerre d'Algérie. Comme son équipe nationale de football en Suisse, la délégation algérienne sera sous haute protection, et ce, pour éviter des débordements qui peuvent intervenir de la part de l'extrême-droite, le jour de la projection. D'ailleurs, le maire de la ville de Cannes a invité les parlementaires de l'UMP et les associations de “rapatriés et de harkis” à déposer une gerbe de fleurs à trois kilomètres du lieu de la projection et à barrer toutes les routes qui mènent au Palais du Festival, et ce, pour empêcher l'arrivée de la marche silencieuse vers le lieu du festival. Au-delà du cachet politique du film, Hors-la-loi c'est aussi une production internationale dans laquelle l'Algérie a participé en force afin de rattraper probablement l'absence de l'Algérie dans la production de l'opus Indigènes du même Bouchareb. Ce film avait été entièrement financé par la France et soutenu par le Maroc, mais Bouchareb présentera sans rancune le film aux Oscars au nom de l'Algérie, ce qui a provoqué la colère des Français et des Marocains. Résultat pour le film Hors-la-loi, l'Algérie a mis le paquet : 4 millions d'euros, soit 20% du financement global du film qui a été évalué à 19,5 millions d'euros. L'aide algérienne a transité via le Fdatic (500 000 euros), le ministère des Moudjahidine (1,5 million euros), l'Agence algérienne pour le rayonnement culturel (1 million d'euros), Sonatrach et Sonelgaz (750 000 euros) et l'ENTV (250 000 euros). C'est le plus grand montage financier pour un film algérien, mais aussi pour un film africain, bien plus que les Egyptiens, qui dominent la planète du cinéma arabe. La presse française ne cesse de dire que la France est majoritaire dans la production du film de Bouchareb et pourtant en matière de financement public, l'Algérie reste majoritaire puisque les entreprises publiques françaises, le CNC (Centre national du cinéma représentant du ministère de la Culture française), n'a accordé qu'une aide sous la forme d'une avance sur recette de 650 000 euros. La commission de la diversité a apporté, quant à elle, 50 000 euros. Le reste de la production est soutenu par des opérateurs privés et semi-publics : France Télévision et Canal+, qui fournissent plus de 12 millions d'euros. Car l'objectif de ces télévisions, ce sont les reventes aux télévisions du monde. Plus de 20 pays avaient acheté l'opus de Bouchareb Indigènes. UN FILM EPOUSTOUFLANT Sur le plan cinématographique, Rachid Bouchareb a donné une dimension internationale et artistique pour le cinéma algérien avec ce film. Comme dans Indigènes et bien plus dans Hors-la-loi, le film de Bouchareb se rapproche beaucoup plus du cinéma américain de Coppola et de Sergio Leone que du cinéma français qui a été son formateur. Comme pour son film précédent, le film débute par une date historique 1925, début du mouvement nationaliste. Un plan large d'une contrée désertique, le Caïd joué par Larbi Zekal vient annoncer l'expropriation de la terre d'une famille de paysans algériens. C'est la seule scène du film qui est tournée en Algérie. La mère, jouée par Chafia Boudraâ et le père joué, par Ahmed Benaïssa nous rappellent le début de la fresque des Corleone de Coppola. Quand Jamel Debouze vient tuer au couteau le Caïd, sur le balcon de son jardin comme l'avait fait Robert de Niro dans le Parrain 2. Rachid Bouchareb, qui est habitué aux Oscars, ne cache pas ses références cinématographiques américaines. Puis vient la scène de toute la controverse : les massacres de Sétif en 1945. Dix minutes ont suffi pour les milliers de journalistes présents pour comprendre le début du conflit historique et la source de la polémique entre l'Algérie et la France. Sobrement filmé mais cinématographiquement réussi, le film ne s'attarde pas sur cet événement qui fait trembler la France. C'est à travers la saga de trois frères magnifiquement joués par Roshdy Zem, Jamel Debbouze et Sami Bouajaïlia et de leur mère Chafia Boudraâ, que Bouchareb raconte à sa manière l'histoire de l'Algérie entre 1945 et 1962. Un scénario bien ficelé où Bouchareb joue l'équilibriste montrant aussi bien la lutte sans concession du côté FLN que la violence arbitraire du côté français. Le réalisateur, qui débute par une manifestation réprimée avec la violence et un match de boxe le 8 mai 1945, finit son film également par un match de boxe et une manifestation réprimée en 1961 dans la capitale française. Le tout à travers la parcours de trois frères que tout sépare mais que tout rapproche. Ce n'est pas un film de gangsters comme le disent certains nostalgiques de la France coloniale mais une saga familiale qui a pour fil rouge l'histoire de la Révolution algérienne. À la projection, c'est l'émotion, une jeune scénariste présente à nos côtés, très émue, essuie ses larmes. Les journalistes français sortent en silence sans commentaire, les étrangers sont sonnés par la grande qualité cinématographique du film. Comme cette journaliste allemande Barbara Shweizorhof qui ignorait que l'Allemagne avait contribué au soutien du FLN en armes et munitions. Pas d'applaudissements dans la salle, mais des cris “Vive l'Algérie” comme dans un stade, lancés par quelques Algériens invités à la projection. Comme l'avait dit un réalisateur algérien à la fin du film, on a envie de refaire le 1er Novembre. Ne pas récompenser Hors-la-loi serait une injustice pour certains critiques, mais le film, selon d'autres observateurs, se trouve sur son chemin vers la Palme d'Or. Un autre film sur l'Algérie, Des hommes et des dieux de Xavier Beauvois, qui raconte l'histoire des moines trappistes assassinés par le GIA. Le film, qui ne prend aucune position politique sur l'affaire des moines de Tibhirine, a reçu un accueil favorable de la part des critiques à Cannes. Ainsi, Hors-la-loi a été projeté malgré la paranoïa de ses détracteurs et les critiques injustes contre un film qui va être une œuvre référence en France. Pour les Français qui ignorent un pan entier de leur histoire coloniale en Algérie et surtout pour les jeunes Beurs qui risquent de comprendre parfaitement ce qu'avait nourri la Révolution algérienne, notamment dans sa lutte en France.