L'exercice qui consiste à signaler l'arrière-pensée politique domestique de l'internationale des “Frères musulmans” dans sa participation aux coups de boutoir contre le blocus de Gaza n'est pas chose aisée. Ni permise. Les islamistes d'Algérie se trouvent en terrain éprouvé. Le régime politique de l'après-Indépendance avait mis en place la parade universelle à toute critique, en rapportant à l'Algérie indépendante la catégorisation propre à l'état de guerre : en situation révolutionnaire, il y a les nationalistes et les traîtres. Il ne restait qu'à prolonger la situation révolutionnaire en question pour prolonger la dichotomie entre l'autorité révolutionnaire (même si, à l'intérieur du mouvement révolutionnaire, les contradictions sont résolues par les armes) et la population que de se définir en fonction de son adhésion ou non à l'autorité ainsi légitimée. Toute objection émise à l'encontre de la pratique du pouvoir se doit alors d'apporter la preuve qu'elle est dénuée d'intention réactionnaire, contre-révolutionnaire. L'article 120 a longtemps fait office de ligne de démarcation entre ceux qui ont droit à la confiance de la nation et le reste, suspects de possibles accointances avec les stratégies de l'ennemi extérieur ; ceux-là constituent le gisement qui pourvoit à l'ennemi intérieur, armée, traîtres, têtes de pont de l'ennemi extérieur. On inventa tour à tour, et au gré des circonstances politiques, les “francophiles”, “hizb França”, les Kabyles version “Cap Sigli”, les “laïco-assimilationnistes”... autant de dangers qui justifient l'accablement, voire la répression de l'expression de militants aux profils ainsi définis et incriminés. De ce point de vue, la création du GPK tombe à pic. Tant qu'il y aura des “ennemis de la nation”, l'emprise du régime se justifie et ses abus en deviennent des contraintes collatérales à son œuvre de sauvegarde nationale. L'islamisme, quand il a été accueilli pour compenser l'usure de légitimité révolutionnaire et contenir les effets de la chute du Mur, s'est retrouvé en terrain conquis. Le régime avait déjà éprouvé les vertus populistes du discours religieux. Il restait à le radicaliser, jusqu'à renverser la hiérarchie des valeurs entre la foi et la patrie. Il s'agissait de faire primer la volonté divine qui surpasse le cadre national. Désormais, on est musulman ou ennemi de la Oumma. Et le régime doit valser entre l'insuffisante légitimité d'un nationalisme politicien et l'islamisme toujours prêt à rompre le compromis tactique. À chaque épreuve, l'un court après l'autre, derrière les supporters de l'équipe nationale ou derrière les activistes embarqués pour Gaza. La question palestinienne islamisée, ceux qui ne conçoivent pas une Palestine aux couleurs du Hamas sont, du point de vue islamiste, ennemis de la cause, voire alliés de l'ennemi, sioniste cette fois-ci. L'Algérie officielle tangue entre le soutien à l'Autorité et la tentation populiste pro-Hamas. Seul élément de consensus : traquer la rationalité démocratique en lui opposant, ici, l'identité culturelle islamique et, là, le “patriotisme économique”. Les causes sacrées ont ceci d'utile : il n'y a plus de questions politiques. M. H. [email protected]