Avec déjà 88 sièges glanés, la confrérie des Frères Musulmans peut d'ores et déjà penser présenter un candidat aux présidentielles de 2011. Pendant très longtemps, Hosni Moubarak, en bon président d'une Egypte qui lutte contre les Frères musulmans depuis plus d'un demi-siècle, répondait aux Américains qui l'acculaient à entamer des réformes démocratiques urgentes, que «l'expérience algérienne» était là pour éviter de faire le jeu des islamistes en opérant des ouvertures politiques. Aujourd'hui, et avant même de faire une lecture définitive des élections législatives, il y a déjà un constat d'échec à faire pour le régime de Moubarak sur au moins trois plans. Le premier est celui qui consistait à faire pièce aux islamistes en les présentant comme un conglomérat sans politique claire de groupes de théologiens populistes et primaires. Avec 88 sièges déjà glanés et 14 autres qui restent en ballottage dans plusieurs circonscriptions, les Frères musulmans ont réussi un test majeur et se présentent comme des leaders politiques aguerris par un demi-siècle de pratique politique clandestine. Les Frères Musulmans se présentent aussi comme un interlocuteur politique légaliste et modéré. Face aux groupes radicaux, dont les Frères Musulmans sont la branche-mère (Al-Djihad, Jamaât islamiya, Hidjra wal Takfir, etc.) ils font figure de vénérables hommes politiques. Façonnées par une discipline intérieure très rigoureuse, ils ont appris à contourner les obstacles. De fait, l'ambition de Hosni Moubarak de présenter son fils Gamel, secrétaire général du PND et véritable n°2 du pouvoir, dans l'emballage d'un futur président, prend un coup. Le deuxième constat d'échec, pour le régime Moubarak, est de s'être montré sous son véritable jour : un régime répressif et coercitif. Dix morts, 200 blessés et au moins 500 arrestations ont émaillé les trois phases (six tours) du scrutin. Les forces publiques ont frappé, refoulé, mis aux arrêts et lancé des gaz lacrymogènes pour venir à bout des émeutiers, des «baltadjiyas» et autres contestataires. Le gourdin a sévi tout au long des élections législatives et sur le plan des avancées, des ouvertures démocratiques, le pouvoir n'a aucun motif à mettre en valeur. Le troisième constat d'échec pour Moubarak est que cette percée des Frères montre le chemin aux autres forces politiques : désormais le régime est «prenable». Désarticulé par ces élections, le régime compte déjà avec une opposition qu'il a muselée depuis longtemps, et qui, aujourd'hui, à l'instar du turbulent mouvement Qi Faya qui demande à gorge déployée le départ de Moubarak après 24 ans de règne sans partage. Cette vue d'ensemble n'a pas laissé les Américains indifférents. Par la voix du porte-parole du département d'Etat, Adam Ereli, Washington prend acte de la percée islamiste, «déplore les dépassements et les répressions» et affirme que le régime du Caire est en train d'envoyer des «signaux négatifs» sur le plan de la démocratie. Cependant, Ereli ajoute que les élections sont positives en ce sens qu'elles induisent désormais un multipartisme politique susceptible de permettre une meilleure expression des Egyptiens. Sur un autre plan, un responsable américain de haut rang a confirmé que les officiels américains entreprendraient prochainement des contacts avec les nouveaux élus de la confrérie des Frères Musulmans au Parlement. Toujours prompt à prendre langue avec les islamistes modérés, Washington avec cette nouvelle approche va certainement accentuer les appréhensions de Moubarak. «L'expérience algérienne» longtemps brandie par Moubarak n'a finalement servi à rien. Avant même de prendre le pouvoir, les Frères Musulmans ont désarticulé le système, et avant même de les laisser participer à la vie politique, le régime les a réprimés de manière sanglante. Mouvement politique non légalisé mais seulement toléré, la confrérie des Frères Musulmans avance en acteur free lance, c'est-à-dire que même en étant «hors circuit politique» elle déséquilibre Moubarak, C'est tout dire...