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Mounès Khammar : “La musique est comme le film, muette tout en racontant des choses” SON COURT METRAGE “LE DERNIER PASSAGER” A ETE PRESENTE AU SFC À CANNES
De retour de Cannes, où son film (sélectionné parmi 1 600 courts) a été programmé au Short Film Corner, et riche de son expérience d'encadreur à l'atelier côté court aux Rencontres cinématographiques de Béjaïa, il évoque, dans cet entretien, ses choix artistiques et esthétiques dans l'élaboration de son dernier-né. Liberté : Pour quelle raison avez-vous choisi de traiter du suicide dans votre nouveau court métrage, le Dernier passager ? Mounès Khammar : J'ai été très affecté par le suicide d'un ami à moi, il y a quatre ans. J'avais d'autres projets de films, mais une œuvre artistique dépend souvent des états d'âme. J'avais un grand besoin d'extérioriser cette émotion qui m'habitait et aussi de parler de ces gens dont on parle peu, ceux qui paraissent “normaux”, mais qui survivent en portant le fardeau de leurs rêves brisés et qui finissent souvent par craquer. J'allais faire ce film avec mes moyens en 2008, mais j'ai obtenu, en 2010, une subvention du ministère de la Culture qui m'a permis de le faire une année plus tard dans des conditions très professionnelles. Le résultat final est la combinaison des talents d'une grande équipe technique et artistique. Je ne les remercierais jamais assez. Outre la thématique centrale, vous développez la question du désespoir qui s'enracine auprès de la jeunesse. Vous n'avez pas opté, comme beaucoup l'ont déjà fait, pour traiter du phénomène de la harga, vous avez plutôt choisi un autre phénomène social relatif au désenchantement de toute une génération… Exactement, même si la harga est l'une des facettes de ce désenchantement, je pense que notre société est plus riche et complexe plutôt que d'être limitée à un seul phénomène, qu'il soit négatif ou positif. Je pense que la création artistique doit aller plus loin que l'actualité médiatique. Après, tous les sujets sont importants mais il ne faut pas tomber dans le piège de l'uniformité. Vous avez opté pour un film sans dialogue mais avec beaucoup d'images et une musique de fond et une voix mélancolique, celle de la diva Fayrouz. Pourquoi ? Ce n'était pas un choix, mais un coup de foudre, je suis tombé sur la musique par hasard et j'ai senti tout de suite qu'elle véhiculait l'histoire que j'étais en train d'écrire. Il faut préciser qu'il ne s'agit pas d'une chanson mais d'une musique sans paroles. Donc, la musique est comme le film, muette tout en racontant des choses. Mais le concept de mon court était d'utiliser la musique instrumentale comme seule ligne narrative avec l'image, au lieu d'en faire une “illustration émotive” derrière un dialogue ou du son. Après, le découpage dense était selon le parti pris de faire une tragédie musicale de quelques minutes, il faut voir ce film comme un petit poème, et non une histoire classique. Mais c'est une prise de risque énorme et certains pourraient vous reprocher que ce court ressemble un peu trop à un vidéo-clip… Pas du tout. Je n'ai rien inventé. La musique racontait les films bien avant les dialogues, le clip est un format télé inspiré du cinéma et pas l'inverse. En plus, un clip est un film qui raconte une chanson, dans mon cas, il s'agit d'une musique instrumentale jouée par un orchestre qui soutient la prestation d'un groupe de comédiens. J'ai montré le film à beaucoup de personnes et la seule comparaison avec le clip a été faite par quelques amis algériens et arabes. La télévision est plus dominante que le cinéma dans notre région et ceci fait qu'on inverse souvent les choses. Si, par exemple, quelqu'un fait un film dans un huis clos, il sera faux de le comparer à un sitcom, le contraire sera plus juste. D'autre part, tout l'intérêt du court-métrage est d'être dans un format cinématographique où tous les exercices de style sont permis. On peut aimer le résultat ou pas, mais un film musical n'est pas un clip, un film d'animation ne fait pas cartoon, un film à huis clos ne fait pas sitcom, un film fait seulement… un film. La meilleure preuve de nos jours ce sont les différentes programmations des festivals qui considèrent un film comme une entité autonome. Dans le Dernier passager, vous filmez le littoral algérois et les bâtisses d'antan. Qu'est-ce qui a motivé ces choix esthétiques ? L'histoire du film parle aussi d'un amour impossible entre un homme de condition modeste et une femme d'une classe supérieure. Montrer différents quartiers d'Alger a été une manière de souligner cette différence entre les couches sociales en Algérie qui n'arrêtent pas de prendre de l'ampleur, chose qui était beaucoup moins visible dans le passé. Mis à part cette approche, je ne suis pas forcement conscient de toutes les dimensions narratives des décors. Je suis d'Alger, et ce que je filme a une grande part de spontanéité. Je suis une personne qui filme tout simplement sa ville. Certains ont fait toute une interprétation quant au premier plan (Mohamed Bouchaïb marchait dans la rue) sur le choix des immeubles et l'architecture, mais pour moi, c'était simplement un homme qui marche dans la rue. De toute façon, les lectures vont souvent plus loin que les intentions du réalisateur, et sont souvent dictées par la sensibilité et le vécu du spectateur lui-même. Ce serait trop compliqué de rentrer dans la tête de chacun. En ce qui me concerne, je me contente de la mienne !