L'opération a porté sur le relogement de 607 familles des bidonvilles entourant la résidence d'Etat, Bouchaoui, le commandement de la Gendarmerie nationale, l'hôtel Sheraton, ainsi que le site de Deux Bassins, dans la commune de Ben Aknoun. C'est la 6e du genre que lance la wilaya d'Alger depuis mars dernier. Elle a nécessité la mobilisation de plus de 2 000 agents, 1 120 camions, 43 bus et le déploiement de plusieurs dizaines d'éléments des services de sécurité et de la Protection civile. Comme à chaque relogement dans la capitale, l'opération a démarré très tôt en ce 20 juin. Les directeurs de l'exécutif de la wilaya d'Alger sont à pied d'œuvre depuis l'aube. “C'est la meilleure façon d'être à l'abri d'une mauvaise surprise”, fera remarquer Mohamed Smaïl, directeur du logement, que nous avons rencontré sur le site des 154 logements à Chéraga. Les premiers camions déménageurs arrivent. À 6h30, le bureau d'information et d'orientation, qu'on appelle le “QG”, est déjà envahi par des “perdus” demandant de l'aide, qui pour trouver son désormais appartement, qui pour en réclamer un plus grand. Les logements sont de type F2 et F3. Le site Amara, qui comprend deux cités (150 et 250 logements), grouille de monde à cette heure où les administrations viennent à peine d'ouvrir leurs portes. Trop sollicité par les journalistes, le directeur du logement improvise un point de presse au QG, où il met l'accent sur tous les moyens humains et matériels mobilisés par la wilaya pour mener cette opération “qui est loin de tout repos”. Pour Mohamed Smaïl, “le programme de relogement de M. le wali a connu une petite trêve afin de ne pas perturber le déroulement des examens de fin d'année scolaire. Ce même programme se poursuit avec, aujourd'hui, une opération visant à reloger 607 familles issues des bidonvilles et de l'habitat précaire de la zone ouest de la capitale, dont 373 des bidonvilles de Club des Pins à Chéraga, 121 de l'îlot des Abattoirs à Staouéli et 113 des baraquements des Deux Bassins à Ben Aknoun. Les sites de relogement sont situés à Chéraga, Souidania et Tessala El-Merdja. À la date du 10 juin, 5 opérations ont été exécutées, totalisant 2 621 familles des quartiers de Diar El-Kef, Diar Es Schems, Doudou-Mokhtar, Zaâtcha, Haouch Mihoub et les chalets des Ondines à Bordj El-Bahri. À la suite de cela, il a été enregistré 47 recours acceptés et 169 diverses emprises de projet au laboratoire USTHB et CNI, le tribunal de Dar El-Beïda, la trémie de Bab Ezzouar et le dédoublement de la RN24. Pour ce qui est du relogement d'aujourd'hui, les sites éradiqués sont : le site Farina à proximité du giratoire de Club des Pins, Dune Boutella à proximité de la nouvelle Résidence d'Etat, l'entrée Club des Pins, Domaine Fellag près de l'hôtel Sheraton, bidonville côté commandement de la Gendarmerie nationale, Bouchaoui marine Iguebel en face de l'Institut national de criminologie et criminalistique (INCC), Maison Belle Fontaine. Soit un total de 3312 familles”. Le directeur du logement a conclu que le programme de relogement se poursuivra jusqu'à la fin du mois d'octobre, soit après l'épuisement des 10 000 logements comme premier quota des 50 000 logements annoncés par le wali d'Alger devant servir à l'éradication totale de l'habitat précaire dans la capitale, conformément au programme du président de la République dans ce cadre. Nous décidons de nous déplacer sur les sites de départ. Sur la route de Club des Pins, une procession de camions déménageurs sur plusieurs centaines de mètres crée un embouteillage indescriptible. Le policier qui régule la circulation demande à un automobiliste nerveux d'être patient. “C'est la fête des pauvres malheureux, alors soyez compréhensifs”, lui dit-il. Bon point, monsieur l'agent. 70 ans sans électricité ! Sur les sites des désormais anciens bidonvilles, c'est le branle-bas de combat. Une mobilisation générale. Nous marquons une halte au niveau du site Bouchaoui marine. Ici, comme ailleurs, l'opération a démarré la veille. Dès le départ des familles, il n'y a pas une minute à perdre. Alors que certaines habitations ne sont plus qu'un tas de gravats, d'autres sont attaquées aussitôt les occupants dehors. Le bruit des engins et des camions obligent les organisateurs à se parler comme des sourds. Des familles attendent leur tour d'embarquer vers la nouvelle destination. À défaut de pouvoir toucher les responsables occupés à coordonner l'opération, on cherche la moindre information là où on peut, et tant qu'on y est, pourquoi pas chez l'agent Netcom, devenu portefaix à l'occasion. Abdelkader Djellaoui, directeur de l'urbanisme et de la construction, est au four et au moulin. Sa préoccupation majeure en cette circonstance étant d'assurer le bon déroulement de l'opération démolition jusqu'à la fin. Il coordonne, suit et instruit à la fois. “Rien ne doit être laissé au hasard. Vous voyez ces familles qui n'ont pas encore reçu l'ordre d'évacuer, on ne peut les mettre dehors que lorsque tout sera réglé. Par contre, dès qu'une famille est en possession de ses papiers pour quitter les lieux, il faut exécuter l'opération”, explique le responsable qui interrompt la conversation en raison d'un problème technique signalé. Il s'agit de couper le courant pour permettre aux engins de démolir une mansarde évacuée. Il fait signe au directeur des mines et de l'industrie, M. Benhouria, qui ameute ses troupes. Le problème est résolu en moins de deux. Nous décidons de revenir à la cité 250 logements, histoire de prendre la température des nouveaux locataires. Bien sûr, les avis ne sont pas partagés sur la nouvelle acquisition. Djamel, installé avec sa famille de six personnes, est mécontent. Il tient d'ailleurs à le faire savoir aux responsables. “J'ai quatre enfants, dont deux, un garçon et une fille, sont adultes. Il n'est pas question qu'ils dorment dans la même chambre. C'est un vrai problème pour moi”, confie-t-il. On le calme avec promesse de voir son cas. D'autres plaignants soulèvent la même question. “Ce qu'il est possible de faire, nous le ferons, mais à l'impossible nul n'est tenu”, dira un des responsables. Il est vrai que le type F2 de certains logements ne convient pas à tout le monde, mais il est utile de savoir que le programme mis à la disposition du social ne date pas d'aujourd'hui. Et puis, il n'y a pas que des mécontents comme le confirme ce septuagénaire qui, en recevant la clé de son logement, n'a pas caché sa joie en s'exclamant : “J'ai soixante-dix ans et je n'ai jamais eu d'électricité chez moi !” Ce vieux est né et habitait dans le bidonville à l'entrée de Club des Pins. Les gendarmes entre médiateurs et hommes de loi Les corps de sécurité ont toujours été présents lors des relogements comme lors des expulsions. Leur rôle n'étant plus à démontrer dans ces différentes opérations. Au cours du déroulement de cette sixième opération, nous avons pu constater la délicate mission des gendarmes, obligés parfois de mettre deux casquettes pour accomplir leur tâche. Avec le colonel Mostefa Taibi, commandant du groupement d'Alger, nous avons effectué une virée dans plusieurs sites. De Chéraga à Club des Pins, en passant par Bouchaoui, le même comportement digne, le même calme, la même méthode d'approche avec la population. Le cas du chef de brigade rencontré à l'entrée de Club des Pins est digne d'être cité. Entre l'accolade avec un des citoyens et la remise à l'ordre d'un autre du même quartier, il y a de quoi se faire un jugement sur le travail de proximité de ces gendarmes partagés entre le métier de représentant de la loi et celui de psychologue à l'écoute des sans-défense. “Pour ce genre d'opération, nous nous préparons toujours moralement. Cela fait plus de 24 heures que je n'ai pas dormi. Avec le temps, on prend l'habitude”, nous a-t-il confié. Renseignement pris, l'adjudant en question connaît le quartier comme sa poche et les habitants comme sa propre famille. Le commandant du groupement qui a visité tous les sites concernés s'est enquis à chaque fois de la situation ainsi que du déroulement de l'opération relogement. Mais, faut-il le rappeler, ces hommes restent pourtant exposés à de réels dangers dans le cadre de l'exercice de leurs fonctions. Selon une source bien informée, un gendarme aurait été blessé au niveau du bidonville situé à proximité du commandement de la GN à Chéraga, au moment où il intervenait pour calmer un jeune hystérique, exclu lui et sa famille du relogement car ne figurant pas dans le dernier recensement effectué dans ce cadre. Ce n'est qu'un exemple parmi beaucoup d'autres malheureusement. En attendant le prochain relogement, il faut rappeler que les terrains récupérés seront transformés en espaces verts, comme l'a confirmé le directeur de l'urbanisme qui a également tenu à remercier les autorités locales et tous les intervenants pour la réussite de l'opération. n Notons enfin que le programme éradication de l'habitat précaire, qui a démarré en janvier de cette année et conduit par le wali d'Alger, Mohamed Kebir Addou, a permis de reloger jusqu'à aujourd'hui 3 312 familles. Le relogement d'une partie des chalets de la commune de Bordj El-Bahri, au mois de mai, se poursuivra dans les prochaines semaines. Avant la fin de l'année en cours débutera le relogement des bidonvilles situés en dehors du centre de la capitale.