S'agissant de sous et de gros sous, nos imams malheureusement ne prêcheront jamais que dans le désert et ne se battront jamais que contre des moulins à vent. Le marché de l'offre et de la demande étant têtu, les escarcelles des maquignons pendant le ramadhan laissent très peu de place à la piété. Nos imams ont beau haranguer les fidèles et les inciter à un peu plus de clémence, ils ont beau les sermonner à la veille de ce mois sacré, le choix pour de nombreux commerçants entre les harpes célestes d'un paradis promis du haut d'un minbar et le doux carillon d'une caisse enregistreuse ne se pose même pas : c'est le plateau de la balance Roberval qui penche et qui fait le poids. Exemple : il y a une quinzaine de jours, le sucre qui oscillait entre 32 et 36 DA le kg montait brusquement en flèche et sans crier gare pour atteindre la cime glacée des 48 DA. Explication des revendeurs : les marchands de zlabia ont tout raflé en prévision des futures agapes des jeûneurs. Idem pour l'huile, le miel et la farine. Une version que nous récusons évidemment car cela voudra dire que n'importe quel petit pâtissier de kelb elouz est en mesure de cesser nos stocks et de provoquer, par voie de conséquence, une dramatique rupture de la chaîne alimentaire. Impossible. Autre exemple bien huilée et parfaitement mis en boîte par les manipulateurs des mercuriales : la valse à trois temps de certaines étiquettes sur les cageots. La sardine, qui ne sort pas du beau Danube bleu est actuellement affichée, selon les sites à 50, 70 et même 150 dinars le kilo. Même si elle a été pêchée avec des filets en or et un chalutier en argent, elle ne sera frite, dans tous les cas de figure, que dans une vulgaire poêle métallique... Pour l'instant, le reste de la batterie destinée aux cuisines ne s'est pas encore emballé : nos carreaux sont relativement calmes et la viande, cerise de toutes les assiettes, est stable même si la pomme de terre joue au yoyo. Mais qu'on ne s'y trompe pas. Dans une semaine, nous passerons tous au gril parce que tout flambera. Aujourd'hui, le problème n'est pas tant spirituel ou moral — il ne sert à rien d'invoquer la pitié de son bourreau —, il est surtout civique car finalement qui engraisse, au bout de sa fourchette, nos affameurs sinon nos propres couffins ? Alors, faisons en sorte d'être solidaires et cessons de faire l'appât. Ce sera peut-être notre plus grand gain. M. M.