Photo: Horizons. D'aucuns s'accordent à reconnaître que la corruption, sujet de l'heure, constitue une préoccupation essentielle pour le gouvernement et notamment pour le président de la République. Pour cause, ce phénomène ravageur entrave la croissance économique, décourage l'investissement et réduit les ressources nationales. Comment lutter contre la corruption qui, il faut le dire, s'est incrustée dans notre société ? De l'avis des hommes de loi, la présomption d'innocence doit rester «le mot clef» tout au long de l'instruction ou de l'enquête préliminaire ayant trait aux affaires de corruption. Selon eux, une justice performante constitue, sans le moindre doute, «la clé de voûte de l'Etat de droit». Après l'éclatement du scandale Sonatrach, les langues se délient pour affirmer plus que jamais que la justice compte énergiquement sévir, s'agissant d'une grande institution, poumon de l'économie nationale. La lutte contre la corruption ne date pas d'aujourd'hui, certes. Mais en se référant aux derniers discours du premier magistrat du pays, on comprendra bel et bien que ce «lourd» dossier subira, certainement à l'avenir, une toute autre façon de traitement. Preuve en est, la mise en place au courant du mois prochain de l'observatoire national de lutte contre la corruption, comme annoncé dernièrement par le Premier ministre M. Ahmed Ouyahia. Sans compter les enquêtes que l'on s'apprête à ouvrir au niveau des départements ministériels, entre autres institutions nationales, en vue de mettre à nu toute action frauduleuse, intérêt national oblige, indique Maître Farouk Ksentini président de la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l'homme contacté, hier, par téléphone. MAITRE KSENTINI : «La Cour des comptes doit intervenir» «Rien n'est contraire aux droits de l'homme autant que la corruption. Je suis pour une lutte acharnée contre ce phénomène ayant pris une ampleur inattendue dans notre système socioéconomique», déclare-t-il. Pour étayer ses dires, maître Ksentini explique à cet effet que lorsqu'il y a trop d'argent qui circule notamment dans le secteur public, cela engendre automatiquement des «tentations». Après avoir salué le courage du chef de l'Etat et du Premier ministre ayant toujours veillé au renforcement de la lutte anti-corruption, il affirmera que la volonté politique est déterminée aujourd'hui plus qu'hier à éradiquer par tous les moyens cette gangrène néfaste. Condition : il faut consolider le rôle des magistrats et les institutions de contrôle, à l'exemple de la Cour des comptes devant nécessairement intervenir en force. En plus de cela, les départements ministériels doivent se contrôler eux-mêmes, souligne Maître Ksentini, reconnaissant, en effet, que ce dossier a connu des évolutions inquiétantes, parce que tout simplement «le contrôle a été déficient». A propos du rôle que doit assumer le prochain observatoire national de lutte contre la corruption, Maître Ksentini estime qu'il faut retenter l'expérience en mettant en place ce genre d'organe, parce qu'il aura un rôle «dissuasif». En plus de cela, ajoute-t-il, il faut former des magistrats spécialisés dans ce genre d'affaires, en leur procurant notamment les compétences techniques nécessaires. Concernant l'affaire Sonatrach, notre interlocuteur se dit «consterné» par ce scandale, en mettant l'accent néanmoins sur la nécessité d'établir des expertises approfondies, pour «constater si les accusations sont réelles ou non». «La présomption d'innocence doit rester de mise», conclut-il. MAITRE BENBRAHAM : «Il faut des peines plus sévères» Autre son de cloche. Celui de Maître Benbraham estimant que la corruption est devenue malheureusement au fil du temps «une culture qu'il faut combattre». «Plus l'entreprise est grande, plus elle attire les convoitises et plus elle est sujette à la corruption», déclare-t-elle en appelant à l'installation d'organes indépendants pour lutter plus efficacement contre ce fléau. Dans ce cadre, notre interlocutrice contactée aussi par téléphone reconnaît en sa qualité de juriste qu'effectivement il existe des magistrats qui refusent de traiter des affaires de corruption. Ce qui explique une certaine «passivité» de leur part. Selon elle, pour prendre cette question du bon bout, il faut d'abord bannir la politique de deux poids deux mesures. Comme solution, Maître Benbraham recommande de procurer d'abord aux magistrats «une bonne protection», ainsi que les outils nécessaires pour mener des enquêtes fiables et surtout réduire leur dossier à un nombre vraiment minime, de façon à se libérer uniquement pour les enquêtes épineuses. En plus, il faut aller vers la révision de la loi sur la corruption de 2006, contenant, selon elle, des peines vraiment «légères». Il faut aller, dit-elle, vers la condamnation jusqu'à la perpétuité, en établissant avant tout des accusations «justes». Comme il faut revenir, ajoute-t-elle, «à des notions plus pragmatiques et punir toute personne qui démontre qu'elle gère les biens publics comme elle gère la caisse de sa grand-mère». DJAMEL AIDOUNI : «Nous n'avons pas peur de traiter Ce genre d'affaires» M. Djamel Aidouni, président du Syndicat des magistrats, étant à la tête de l'organisation la plus concernée par la lutte contre ce fléau, estime pour sa part que les magistrats n'ont pas besoin de formation spécialisées, puisqu'ils ont déjà bénéficié d'une intense formation à cet effet, et les quatre pôles judicaires sont des exemple concrets d'instances mises en place pour régler des affaires sensibles comme la corruption, le terrorisme etc. «La lutte contre la corruption a de tout temps existé. Nous avons traité des affaires très graves, mais qui n'ont pas été médiatisées tout simplement», déclare-t-il. A la question de savoir si, réellement, certains magistrats rejettent les affaires de corruption sous prétexte de manque de protection, M. Aidouni affirme que «non», puisqu'ils n'ont «pas le droit de refuser l'enquête judiciaire». Et d'enchaîner : «Nous n'avons pas peur des affaires de corruption. Nous n'avons pas demandé de protection au temps du terrorisme alors pourquoi le faire aujourd'hui». En somme, conclut-il, «le magistrat doit être bien formé et informé, pour mener des enquêtes crédibles, puisque la volonté politique est là. Alors il faut faire confiance à la justice algérienne». Pour rappel, M. Tayeb Belaiz, ministre de la Justice, garde des Sceaux, a indiqué dernièrement que depuis la parution de la loi de 2006, voire depuis le 2e semestre 2006 jusqu'à 2009, la justice algérienne a prononcé 5575 condamnations dans des affaires liées à la corruption, sans compter les affaires en instruction ou en cours de traitement judiciaire.