Résumé : Les deux frères s'apprêtent à reprendre la mer. Farid se sentait plus léger après ses confidences et Mohamed en est heureux pour lui. Le benjamin de la famille est au lycée, mais rêve secrètement de prendre le large comme ses aînés… 77eme partie Mohamed lui raconte son voyage et lui promet de le prendre avec eux aux prochaines vacances. - Tu vas connaître la mer et ses affres, mais tu seras content de découvrir ces rivages lointains que tu rencontres dans tes lectures. Le Benjamin, qui venait d'avoir 16 ans, n'en demandait pas mieux que de pouvoir connaître ces pays décrits dans ses lectures. Il se promet de ne pas rater le coche et de décrocher son bac, afin de pouvoir prendre ces vacances qu'on lui promettait. Quatre années passent. Farid avait eu une autre fille et Mohamed s'était, de son côté, marié à une Européenne. La prédiction de son frère aîné s'était réalisée et il avait lui aussi succombé au chant des sirènes. Mais, cette fois-ci, Yasmina avait été consultée au préalable. Comme elle ne pouvait se soustraire au destin de ses fils, elle n'avait pu qu'accorder sa bénédiction à son fils cadet. Que pouvait-elle faire de mieux, si ce n'était de contribuer au bonheur de ses enfants ? Farid avait ramené sa femme et ses filles l'été précédent, et Yasmina avait été heureuse de recevoir ses petites-filles. Mohamed, qui préparait son mariage, voulait faire venir sa mère à Marseille, où la cérémonie était prévue chez Farid. Mais cette dernière refuse. Revoir la ville phocéenne après tant d'années lui faisait peur. Elle sut à ce moment précis qu'elle ne pourra plus jamais fouler le sol de Marseille. Cette étape de sa vie s'était arrêtée là où elle avait commencé. C'est-à-dire, sur le quai du port. 1954 – 1962 : LE MAQUIS Quand la guerre de libération éclate, mon père, qui était sous les drapeaux et venait de boucler tout juste sa vingtième année, n'hésita pas à déserter sa caserne pour monter au maquis. Yasmina était dans tous ses états. Le plus jeune de ses enfants affrontait, tous les jours que Dieu faisait, les canons de l'ennemi. À cette perspective, elle perdit le sommeil, l'appétit et s'alita. Le seul enfant qui était resté auprès d'elle combat l'ennemi, et elle ne sait même pas si elle allait le revoir un jour. Elle pleura toutes les larmes de son corps. Mohamed et Farid tentèrent de lui faire entendre raison. En vain. Ce n'était pas qu'elle refusait ce geste de bravoure, mais elle avait peur de l'avenir. La mort lui a déjà ravi six enfants et son mari. Elle avait connu les affres du malheur et de la misère. Pourquoi fallait-il encore que cette guerre lui prenne son dernier bébé ? Lounis et Idir, ses deux frères, lui affirmèrent qu'après tout, la famille aura besoin d'avoir son héros, à l'instar de tout le peuple. Et en guise de héros, la famille paya en fin de compte un lourd tribut. Des neveux, des oncles, des cousins périrent sous les balles ennemies. Yasmina finira par se rendre à l'évidence. Son fils sera un héros. On lui avait déjà donné de ses nouvelles. Il était très sollicité par ses supérieurs et participait à des opérations militaires dont les échos parvenaient aux oreilles de sa famille. Il avait aussi la main experte et prodiguait des soins aux blessés sous le parrainage de quelques médecins. Si bien qu'il gagna l'admiration de ses compagnons de front, qui voyaient en lui l'étincelle d'un avenir victorieux et certain. On fondait déjà sur les jeunes de son âge les plus grands espoirs pour l'avenir du pays. Et ce fut le cas. Mon père passera sept années au maquis. En janvier 1962, il sera arrêté à une zone frontalière et torturé. Condamné à mort, il ne devra son salut qu'au “cessez-le-feu” de mars 1962. Il sera libéré en juillet de la même année, et le cœur léger, il rejoindra Yasmina et les siens. Farid et Mohamed rentrèrent avec leur famille pour fêter l'avènement de l'indépendance et le retour de l'enfant prodigue. Yasmina était aux anges. Elle aussi avait officieusement participé à cette guerre. Durant de longues années, elle avait bravé tous les dangers pour retrouver son fils dans les tréfonds de tous les maquis du pays. Grâce à la contribution de mes deux oncles et de ses parents, elle avait à chacun de ses passages chez les frères combattants ravitaillé les compagnons de son fils en nourriture, vêtements, couvertures et médicaments. Parlant la langue de Molière sans défaut, elle se faisait souvent passer pour une Européenne à chaque barrage. Combien de fois son cœur avait-il palpité à la vue des fils de fer barbelés qu'on dressait sur des passages surveillés ? Combien de fois l'a-t-on interrogée sur sa destination ? Mais, grâce à dieu, elle a toujours su s'en tirer. Et aujourd'hui, elle est très heureuse du retour de ce fils qu'elle croyait ne jamais revoir. (À suivre) Y. H.