Il se moque des règles, ridiculise les gouvernants, malmène les pauvres, escroque les riches, use de sa ruse pour punir les malfaiteurs, mais n'est point justicier et n'a pour ambition que de subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille. Il aspire à bien se nourrir, à trouver un toit pour dormir et à mener une existence, la plus simple possible. Lui, c'est Djeha. Un homme qui utilise son esprit adroitement, qui s'attire souvent des ennuis et qui n'a peur de rien. En fait, dans son cas, les seules choses qui puissent lui faire peur c'est son imagination débordante et ses ruses audacieuses. Dans le but de sortir ce personnage mythique et largement représentatif de l'humour algérien, des vieux tiroirs, de l'oubli, Abderrahmane Lounes vient de publier, aux éditions Casbah, le recueil Djeha. Articulé autour de174 pages, illustré et présenté dans une très belle édition, Djeha est un florilège d'historiettes, récoltées ça et là par l'auteur qui écrit dans l'avant-propos : “Cette anthologie de la bonne humeur, roman collectif de l'Algérie éternelle, s'inscrit précisément dans ce souci de soustraire à l'oubli une branche importante de notre patrimoine culture qu'il ne plus être permis de laisser indéfiniment inexploré.” Dans une exhaustive et pertinente présentation, Abderrahmane Lounes explique la dimension sociopolitique qu'avait prise le personnage de Djeha en Algérie, au lendemain de l'indépendance. Il évoque également ses différentes manifestations et autres apparitions dans le patrimoine universel. Même si son nom change d'une société humaine à une autre, sa fourberie, son intelligence et sa malice sont les mêmes. Dans le recueil d'Abderrahmane Lounes, on retrouve plein d'anecdotes et de petites histoires de Djeha, notamment “Djeha et le Cadi”, “Djeha au festin”, “Djeha et la marmite”, “Djeha et le clou”, “Djeha et les voleurs”, “Djeha et la tête de brebis” ou encore “la Mort de Djeha”. En tout cas, plein d'histoires qui mettent en évidence l'intelligence hors norme de ce héros populaire de notre enfance, qui a traversé les âges et qui continue, aujourd'hui encore, à nous faire rire, même si Djeha n'est pas suffisamment présent et exploité dans l'art. Kateb Yacine est un des rares artistes à avoir travaillé sur ce personnage dans le théâtre, et mis à part un feuilleton télévisé produit par la télévision algérienne dans les années 2000, l'exploitation de cette figure patrimoniale du Maghreb n'a pas encore acquis toute la place qu'elle mérite. Beaucoup reste encore à faire, mais l'ouvrage d'Abderrahmane Lounes est un bon début.